Par akademiotoelektronik, 18/02/2022

Qu’est-ce que le Web3 et comment il pourrait changer la face d’Internet

En 2005, le magazine Wired publiait un article intitulé Êtes-vous prêts pour le Web 2.0 ?, s’interrogeant sur le Web tel qu’on le connaît aujourd’hui. “Personne ne peut s’accorder sur ce que signifie le Web 2.0, mais l’idée est que ce nouvel Internet, plus collaboratif, crée un buzz qui nous rappelle celui de la fin des années 90”, pouvait-on lire. En réalité, au moment où le journaliste écrivait ces lignes, la deuxième itération du Web avait déjà amorcé le remplacement de la première, puisqu’on estime que la transition s’est faite entre 2004 et 2005, moment où émerge Facebook, par exemple. Mais il a fallu plusieurs années supplémentaires pour le comprendre.

Force est de constater que le Web évolue de nouveau, grâce à l’émergence de nouvelles technologies et à cause de nombreux scandales touchant les grandes plateformes du Web. Nos données sont malmenées par ceux à qui nous les confions, ce qui tend à raviver la flamme philosophique d’un Web qui doit être construit par et pour les utilisateurs, en quête de décentralisation. Des caractéristiques que l’on est censé retrouver dans le Web3 ou Web 3.0, qui pourrait bien avoir déjà entamé sa mutation.

Qu’est-ce que le Web ?

Pour les moins initiés, il nous faut d’abord revenir à la genèse du Web. Internet est un réseau informatique mondial accessible au grand public, composé lui-même de millions de réseaux publics, privés, universitaires, commerciaux, gouvernementaux, etc. L'information circule via Internet grâce à un ensemble standardisé de protocoles de transfert de données, qui a permis la création d’applications variées telles que le courrier électronique, la messagerie instantanée, ou encore ce fameux World Wide Web. Il est l'œuvre d'un informaticien britannique nommé Tim Berners-Lee, qui en dépose le nom en 1990. En 1993 apparaît le premier navigateur web.

Le Web 1.0, le Web statique

Le Web 1.0 s’étend ainsi sur une période allant de 1990 à 2004-2005. Il s’agit d’un Web statique, principalement consultatif, dépourvu d’interactions majeures pour les utilisateurs. La principale utilisation qui en est faite est d’adapter du contenu réel pour le virtuel, et d'offrir aux internautes la possibilité de le consulter. L’exemple le plus parlant est probablement l’article de journal dupliqué pour le Web.

Certains parlent de système "push", permettant la distribution d’information dans un seul sens, du créateur vers le lecteur. L’un propose, l’autre consulte. Le Web 2.0 commence à se dessiner autour des années 2000 : l’internaute souhaite créer du contenu.

Le Web 2.0, tel qu'on le connaît

On parle parfois de Web participatif, en opposition au Web statique précédemment évoqué. On estime aujourd’hui que cette mutation a débuté vers 2004, au moment de l’émergence des premiers réseaux sociaux. Le Web 2.0 se définit en grande partie par la création de contenu par le particulier vers le particulier, comme les blogs. Des communautés se forment, sur des forums, sur des plateformes de recommandations, sur les réseaux sociaux. L’idée n’est plus seulement d’utiliser le Web pour répondre à une question, mais d’y faire vivre des idées et des personnes. Mais là aussi, l’utilisateur est rattrapé par ces ogres, dont les plus méchants sont aujourd’hui appelés Gafam. On échange sur Twitter, on like sur Facebook, on commente sur TripAdvisor, etc.

Ces entreprises flirtent régulièrement avec le monopole, aspirent les données des internautes, génèrent énormément d’argent, sont menacées de régulation… Le Web, qui était censé donner de la liberté aux personnes, est finalement centralisé autour de quelques grands noms qui contrôlent l’espace numérique et s’écharpent avec les États. Et pendant ce temps, certains rêvent d’un Web qui remettrait l’utilisateur au centre des échanges, ce qui va alimenter la philosophie du Web3.

“Le système est en train d’échouer”, s'alarme Tim Berners-Lee, dans une interview donnée au Guardian en 2017. La même année, il publie une lettre ouverte dans laquelle il expose les trois problèmes qui, selon lui, empêchent le Web de réaliser son vrai potentiel d'outil au service de toute l'humanité : les fausses informations, la publicité politique et l'usage abusif de données personnelles.

Qu’est-ce que le Web3 ?

Dessiner les contours de ce Web3 est un travail d’équilibriste. Globalement, il s’agit de créer une alternative décentralisée au World Wide Web, avec plusieurs objectifs philosophiques : compromettre la censure, redonner aux internautes le contrôle sur leurs données, combattre le pouvoir des grandes plateformes, rebattre les cartes de la propriété sur Internet. Des technologies existantes façonnent déjà ce qui fera cette troisième itération du Web : la blockchain, l’intelligence artificielle, le cloud et l'edge computing, la réalité virtuelle, l’Internet des objets (IoT), les apps décentralisées...

“Le Web3, c’est prendre ce que le bitcoin a fait avec la monnaie et l’appliquer à tout”, schématise Juan Benet, fondateur de Protocol Labs, dans une longue intervention lors du Web3 Summit en 2018. On prend souvent l’exemple de la traçabilité des produits de la chaîne alimentaire, qui pourrait être réalisée grâce à la blockchain. “Rendre les choses vérifiables est la principale caractéristique de cet espace”, poursuit l’informaticien. Difficile, effectivement, de ne pas faire de parallèle entre le Web3 et le lancement d’innombrables projets autour de la blockchain et des cryptomonnaies, des innovations en partie héritées de la philosophie Cypherpunk (voir l'excellente mini-série d’Arte sur Le mystère Satoshi).

Le Web3 peut compter sur de sérieux atouts. La décentralisation implique que le Web3 ne serait pas contrôlé par une autorité centrale, mais par ses utilisateurs. Cette décentralisation servirait elle-même à la sécurité du réseau : en cas d’attaque sur une plateforme, la cible qui est aujourd’hui unique (le serveur central) se transformerait en des cibles multiples, c'est-à-dire tous les ordinateurs qui composent le réseau. Les informations publiées seraient également non modifiables, et traçables. L’anonymat serait aussi mieux préservé : lors des échanges de cryptomonnaies sur les plateformes décentralisées, la seule donnée communiquée est un numéro de portefeuille numérique, par exemple.

La promesse est aussi la suivante : organiser un partage de la propriété entre ceux qui construisent la technologie et ceux qui s’en servent. Comprenez, redonner du pouvoir aux utilisateurs, les rémunérer. Une utopie ? Pas si sûr quand on observe l’essor des NFT, ces titres de propriété d’un fichier sur Internet, souvent moqués mais utilisés pour certifier l’authenticité d’une œuvre ou comme moyen de rémunération des soutiens sur certains projets.

Le Web3 : une anarchie organisée dans le cyberespace ?

Devinez quelle a été l’une des premières utilisations à grande échelle du bitcoin, cette monnaie numérique indépendante du système bancaire international ? Acheter de la drogue, des armes, des vidéos pédopornographiques sur le darknet, et particulièrement sur le site Silk Road qui a fini par être rattrapé par la justice.

Ce parallèle n’est pas anodin puisque la décentralisation implique un affaiblissement théorique du contrôle. Comment punir quelqu’un qui tiendrait des propos racistes sur une plateforme décentralisée où son anonymat est préservé ? Comment effacer ces commentaires afin qu’ils ne soient pas diffusés massivement ? Si ce ne sont plus les plateformes et les États qui veillent au respect des droits fondamentaux, ils reposent alors sur la confiance entre utilisateurs. Et on patauge dans l’inconnu.

Il y en a un, en tout cas, qui n’est pas convaincu par l’idée du Web3. Elon Musk, le patron de SpaceX et de Tesla, pourtant admirateur des cryptomonnaies et très actif sur les réseaux sociaux, a récemment répondu à un tweet en qualifiant tout simplement le Web3 de “bullshit”. Comprenez, “conneries”.

Et si nous étions déjà dans le Web3 ?

Et si le Web3 était déjà là ? Il existe une Web3 Foundation, qui s’est donnée pour mission de “développer des applications de pointe pour les protocoles logiciels web décentralisés” et dont la “passion est de proposer le Web 3.0, un Internet décentralisé et équitable où les utilisateurs contrôlent leurs propres données, identité et destin”. À sa tête, Gavin Wood, un informaticien anglais et cofondateur d'Ethereum, déjà dépeint comme le “père du Web 3.0”.

Dans un article de blog dont on pourrait isoler des dizaines de citations et que nous vous invitons à consulter, il explique : “L'adoption du Web 3.0 ne sera ni rapide ni propre. Avec des intérêts bien ancrés contrôlant une grande partie de nos modes de vie numériques et des intérêts souvent alignés entre les législateurs, le gouvernement et les monopoles technologiques.” Il prend comme exemples les programmes de la NSA, soutenus par Google ou Facebook, mais aussi l’ingérence russe dans les élections américaines, les diverses tentatives pour rendre le bitcoin illégal, ou encore le Royaume-Uni qui a exprimé son désir d'interdire le chiffrement fort. Gavin Wood l'affirme : “Du point de vue de l'utilisateur, le Web 3.0 sera à peine différent du Web 2.0, du moins au début.”

Tout comme il a été difficile de dater les débuts du Web 2.0, il paraît bien tortueux de dater celui du Web3. A-t-il déjà entamé sa mutation ? Est-ce que le metaverse promis par Mark Zuckerberg, annoncé comme le futur d’Internet, n’est pas un exemple de riposte des géants du numérique face à un mouvement déjà enclenché ? Gageons — l’avenir nous donnera peut-être tort — que le Web risque cette fois de ne pas suivre un développement linéaire. Un Web3 libertarien pourrait bien se développer en parallèle d’un Web toujours plus contrôlé par les ogres du secteur, et glaner petit à petit de nouveaux adeptes. Jusqu’à un point de bascule ?

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