Par akademiotoelektronik, 02/03/2022

Le portrait de la semaine : Sébastien Guarato, façonneur de champions...

S’il se plie toujours aux multiples sollicitations de la presse, nul doute que Sébastien Guarato se serait bien passé d’être à la Une de l’actualité hippique mardi dernier suite à l’annonce du forfait du crack Face Time Bourbon et de son probable arrêt de carrière. Alors que la majorité des professionnels se serait enfermée dans un mutisme dans de pareils cas, le bordelais a répondu à toutes les questions des médias qu’ils soient spécialisés ou locaux, avec toute la franchise qui le caractérise.

A Self-made man

Originaire d’Ambarès, le quadragénaire n’a pas d’attaches familiales dans les courses hippiques et s’est construit seul. Pourtant, adolescent, il accompagne souvent sur l’hippodrome du Bouscat son père, qui travaille au port et qui s’occupe également d’une poulinière : « J’aimais bien y aller mais je n’avais pas pris le virus, loin de là, concède Sébastien Guarato. A 14 ans, je devais choisir ma voie. Au départ, je voulais être cuisinier mais je me suis finalement orienté vers une carrière de jockey. »

Le jeune adolescent quitte alors son Sud-Ouest natal pour rejoindre l’école de Graignes dès ses 14 ans : « L’AFASEC de Mont-de-Marsan était plus proche de la maison mais j’étais trop grand pour me lancer dans le galop. Mon père était content car il aimait les chevaux. Quant à ma mère, employée dans une pharmacie, elle était un peu inquiète que j’emprunte cette voie-là. Quand je suis arrivé à Graignes, je n’étais jamais monté à cheval et je ne savais même pas mettre un licol. A Graignes, on m’a tout appris, de A à Z. » Apprenti dans la structure familiale de Patrick Lallemand, il n’y reste pourtant que quelques mois, son maître d’apprentissage étant victime d’un très grave accident. Changement de cap donc pour Sébastien Guarato qui apprend alors le métier chez Marcel Cherruau, au même titre que Bruno Marie, qu’Alain Lelodet et que Philippe Daugeard.

Resté sept ans dans cette écurie, le jeune homme s’installe à son compte dès ses 35 victoires et son statut de professionnel validé. « Je me débrouillais pas trop mal en course mais je ne pensais pas pouvoir faire une carrière de pilote. Je me suis donc rapidement installé entraîneur public. J’ai eu la chance de faire la connaissance de l’éleveur des Montfort, Mr Dauphin, chez qui j’ai loué des boxes et qui m’a confié des chevaux. Je suis rapidement tombé sur Granit de Monfort qui avait gagné cinq courses à Vincennes mais également sur Ipsos de Montfort, troisième du Critérium des 5 ans. De son côté, Jacky L’Indien avait brillé dans des Quintés+. »

Le Ménil-Bérard, l’eldorado

Après un passage au Haras de Ginai, le professionnel pose ses valises au Ménil-Bérard, où il achète et transforme une ferme. Rapidement, un poulain, Prince d’Espace, devient roi des lieux. Elevé par Guy Chaumont, il remporte huit Groupes II sans parvenir toutefois à s’imposer dans un Groupe I, malgré ses accessits dans les Critériums des 3 et 4 ans. Ce fils d’Himo Josselyn lance alors la carrière classique de son entraîneur et sera d’ailleurs le premier de ses pensionnaires à disputer un Prix d’Amérique, en 2008. Son propriétaire, fidèle à Sébastien Guarato, Daniel Jeulin en garde un précieux souvenir : « Nous disputions ce Prix d’Amérique pour le fun, avec Sébastien au sulky, se rappelle le propriétaire rennais. C’était son premier partant dans cette épreuve mythique et cette expérience a dû lui servir par la suite. J’ai connu Sébastien il y a désormais 25 ans par l’intermédiaire de mes associés Guy Chaumont, Mathias Moncorgé et Emmanuel Leclerc. Je n’avais pas eu de chevaux auparavant et Sébastien m’a appris le métier. J’ai eu de la chance de tomber sur lui et Prince d’Espace. Je me rendais au Ménil Bérard au moins une fois par mois. Sébastien était le premier à avoir une ligne droite en montée sur son centre d’entraînement. Je n’ai pas été étonné de son ascension car c’est un super pro. Il a du talent et sent les choses. Il a toujours eu de bons chevaux mais il a surtout su en tirer la quintessence, entouré d’une bonne équipe. C’est comme un entraîneur de foot qui sait ou non utiliser son effectif. Nous avons beaucoup communiqué au fur et à mesure des années mais je ne suis pas du genre à l’appeler régulièrement. Chacun doit être à sa place. C’est à l’entraîneur de prendre les décisions, ce qui ne l’empêche pas de pouvoir discuter. Le métier est assez difficile comme cela et la blessure de Face Time Bourbon en est hélas la parfaite illustration. C’est terrible ce qu’il s’est passé cette semaine mais cela ne va pas l’arrêter pour autant. »

Le plus bordelais des entraîneurs normands a pris un abonnement le dernier dimanche de janvier puisqu’il y a toujours eu un partant depuis 2012 et la deuxième place de Roxane Griff : « Sébastien aborde ces grands rendez-vous sans s’ajouter de pression, analyse Yves Bertrand, éleveur et propriétaire de la Dame de fer. Il est serein et assez sûr de lui. Il concrétise ainsi tout le travail effectué sur sa piste. Celle-ci revêt une grande importance dans ses résultats. Elle a un dessin très atypique qu’il a bien en tête. Il peut alors préparer au mieux ses pensionnaires. Je le connais depuis vingt ans et c’est plus qu’un entraîneur pour moi. Il pense cheval : c’est sa qualité majeure. C’est un don que la nature lui a donné. Lorsqu’il voit trotter un jeune cheval, il est capable de juger de la qualité du poulain en question et il se trompe très rarement. Il n’est pas issu du sérail mais a été formé par un grand homme de cheval, Marcel Cherruau. Il a bien retenu la leçon, tout cela dans le calme. Il est toujours d’humeur égale. Franc, il ne cache rien et je ne l’ai jamais vu se fâcher. C’est tout simplement un homme bien, avec ses qualités et ses défauts, comme tout être humain. »

Equidia avait rendu hommage à Roxane Griff dans un reportage "Roxane Griff tire sa révérence.''

Le Hall Of Fame

Notamment lauréate de deux Prix de Cornulier et d’un Prix de Paris, Roxane Griff fait partie des chevaux marquants de l’écurie à l’instar du rouleau-compresseur Rapide Lebel : « Je ne l’avais même pas essayé avant son arrivée dans mon effectif, se remémore Sébastien Guarato. Il était très nerveux au début et cassait les enrênements. Il a été souvent dehors, promené en mains et il s’est bien plu. J’ai aussi eu la chance que Roxane Griff me soit confiée. Et si Jean-Etienne Dubois ne part pas en Australie, jamais Bold Eagle ne serait arrivé chez moi. Jean-Etienne aurait fait aussi bien que moi. Quant à Face Time Bourbon, j’y étais allé pour acheter un autre cheval. On me l’a proposé alors qu’il était dans un petit paddock. Par contre, nous n’avions pas vu son aplomb qui était tordu. Si j’avais mieux regardé, je ne l’aurais peut-être pas acheté. On l’a gardé et ça a fait un crack. De toute façon, ce sont les chevaux qui font les hommes. » La réciproque est également vraie et les différents champions passés entre les mains de ce grand amateur de sport sont là pour en témoigner, eux qui ont été préparés sur les trois sites d’entraînement développés par le maître des lieux.

Les 3 derniers champions de Sébastien Guarato. Billie de Montfort (à gauche), Bold Eagle (au centre) et Face Time Bourbon

Les Prince d’Espace, Bold Eagle, Carat Williams, Cash and Go, Ecu Pierji, Eridan, Et Voilà de Muze, Ever Time et bien sûr Face Time Bourbon ne sont pas partis bien loin à l’issue de leurs carrières puisqu’ils font tous la monte au haras de la Meslerie géré par Sébastien et sa femme Anne : « C’est très plaisant d’entraîner leurs produits, apprécie Sébastien Guarato. Au départ, je ne pensais pas vraiment à un tel développement mais cela s’est fait naturellement. Quand nous avons commencé à gagner des courses, nous avons été obligés de faire évoluer la structure. Sinon, je serais resté à 40 chevaux alors que nous en avons une centaine actuellement. J’ai des clients fidèles et c’est important pour moi. J’aime bien qu’ils me donnent toutes leurs confiances. C’est à l’entraîneur de gérer le travail, le programme. »

Bold Eagle a été le premier grand champion de Sébastien Guarato. Profitez de ce reportage, à consommer sans modération.

Mister Président

Et nul doute qu’il n’est pas intervenu lorsqu’un certain Via Dolorosa défendait ses couleurs sur la Butte-Mortemart avec à la clé un succès dans une épreuve de prestige, le Prix du Président de la République : « Je n’y étais pas puisque je gagnais ce jour-là le Grand Prix de Cherbourg avec Cash and Go, le propre frère de Bold. C’était marrant car tout le monde m’a félicité sur l’hippodrome alors que je ne connaissais même pas l’arrivée à Auteuil. »

Deux ans plus tard, Sébastien Guarato est bien présent pour le Président de la République à Vincennes, remporté par Flèche Bourbon. Si une soixantième victoire dans un Groupe I français semble difficilement envisageable ce dimanche à l’occasion du cinquième Prix d’Amérique de Billie de Montfort, cet homme de challenge va s’atteler à préparer les nouvelles générations, aidé notamment en cela par son fils Adrien, âgé de seize ans : « Il se débrouillait bien à l’école mais suit les cours à distance désormais. Il commence à entraîner les chevaux. On va essayer de lui faire gagner des courses cette année. Ma fille cadette, Lise, fait l’école de CSO de Deauville. Elle est en stage chez Michel Hécard et a gagné quelques concours. Elle monte bien et a une bonne approche des chevaux. Mon fils aîné, Jérémy est quant à lui commercial. » Probable qu’il ait hérité du sens des relations humaines de son père, abordable en toutes circonstances : « Je dois bien passer avec les gens. J’ai surtout pu rencontrer les bonnes personnes qui m’ont confié des chevaux de qualités. J’ai eu un peu de chance car il n’y en a pas beaucoup à s’en sortir à un niveau correct sans être issu du sérail. »

Revivez un reportage réalisé par les équipes d'Equidia, dans l'intimité des deux champions de Sébastien Guarato, Bold Eagle et Face Time Bourbon

Régulièrement au cours de l’entretien réalisé avant la blessure de Face Time Bourbon, Sébastien Guarato évoque la chance qu’il a rencontrée au cours de son parcours mais encore faut-il savoir la provoquer. Une telle réussite ne repose pas seulement sur la chance mais surtout sur de bonnes doses de travail et de détermination, cocktail qui lui permettra sûrement de briguer un cinquième rêve américain ces prochaines années...

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