Par akademiotoelektronik, 31/01/2023

Neil Armstrong : les spécialistes français de l'espace se souviennent

Le monde pleure la disparition de Neil Armstrong, premier homme à avoir foulé le sol lunaire, le 20 juillet 1969. En 2009, pour le quarantième anniversaire de cette journée historique, quatre experts français de l'espace - Jean-Loup Chrétien, Claudie Haigneré, Jean-Jacques Dordain et André Brahic - confiaient au Point leurs souvenirs de ce moment.

Jean-Loup Chrétien, premier astronaute européen dans l'espace. Trois vols : Saliout 7 (1982), Mir (1988) et Atlantis (1997).

"À l'époque, j'étais pilote de chasse à Orange et, comme tous les autres, je m'étais acheté un téléviseur. Le 21 juillet, j'ai passé une nuit blanche à regarder les images de Neil Armstrong en train de sortir du module lunaire Eagle, bientôt rejoint par Aldrin. Les images n'étaient pas parfaites, mais c'était prodigieux, même si on s'y attendait, car il y avait eu les missions Apollo précédentes. Mais je dois dire que mon sentiment d'enthousiasme était teinté de frustration. En observant Neil et Buzz marcher sur la Lune, je me disais qu'en tant que Français je ne connaîtrais jamais cela. Or, déjà, en 1961, quand j'étais élève officier, je pensais à devenir spationaute. Quand Youri Gagarine effectua le premier vol dans l'espace, je m'étais mis dans la tête de tout faire pour le suivre un jour. À l'époque, quand je répétais cela à mes patrons, ils affichaient un grand sourire, me disant que je serais arrière-grand-père quand un Français irait dans l'espace. Ils avaient tort, bien sûr.

La vue d'Armstrong et d'Aldrin sur la Lune a conforté cette volonté. Par la suite, quand j'ai rejoint le corps des astronautes américains en 1999, je les ai rencontrés, mais ils n'étaient pas très bavards, surtout Neil Armstrong. En revanche, je suis devenu très ami avec Harrison Schmitt qui fut l'avant-dernier homme à fouler la surface lunaire. Il a été le seul scientifique - il est géologue - à faire partie des missions Apollo. Il y a encore quelques mois, je l'ai accompagné en Himalaya où il avait prévu de réaliser une ascension. Moi-même, je suis resté au camp de base. Pour en revenir au programme Apollo, il constitua un réel exploit technologique, car la science spatiale des années soixante était encore rudimentaire. Imaginez que les astronautes portaient encore des montres Omega qu'on remontait à la main ! Le risque était élevé, on entassait des systèmes les uns sur les autres, comme les maillons d'une chaîne, et il fallait qu'aucun ne se casse. Avec l'explosion qui se produisit à bord d'Apollo 13, les Américains comprirent que l'aventure était devenue trop dangereuse pour continuer au-delà d'Apollo 17. Les missions ultérieures furent annulées.

À quoi a servi de marcher sur la Lune ? C'était avant tout un geste médiatique, politique dans le cadre de la guerre froide. Les Américains devaient reprendre la main dans la conquête spatiale, qui, jusque-là, était menée par les Soviétiques. Mais la justification fondamentale, c'est que le goût de l'aventure et de l'exploration est dans les gènes de l'homme ! Lors de mes trois vols, j'ai souvent pensé à Neil, Buzz et Michael, car ils faisaient partie de mon rêve. Bien sûr qu'il faut retourner sur la Lune. Après que des robots y auront construit des hôtels trois-étoiles pour astronautes. Elle servira de tremplin pour aller plus loin."

Claudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et du Palais de la découverte. Spationaute. Mir (1996), Station spatiale internationale (2001).

Neil Armstrong : les spécialistes français de l'espace se souviennent

"Le 20 juillet 1969, j'avais 12 ans, j'étais en vacances dans un camping avec mes parents. Un téléviseur avait été installé en plein air. Je fus alors fascinée par l'extraordinaire spectacle. Dans le ciel, on voyait la Lune toute ronde et là, sur l'écran, on voyait des hommes marcher dessus. C'était captivant. Mais à cette époque j'étais encore une petite fille qui ne pensait pas à marcher dans les étoiles. Bien plus tard, je suis devenue amie avec Buzz Aldrin. C'est un être intelligent, aimable. Aujourd'hui, je me rends compte combien les missions Apollo relevèrent d'un exploit technologique, mais les Américains avaient mis les moyens.

Je n'ai plus pensé à la Lune durant de nombreuses années. Jusqu'au jour où, rhumatologue à l'hôpital, j'ai découvert cette affiche du Cnes lançant un appel à candidatures pour devenir spationaute. Aussitôt, les images d'Armstrong et d'Aldrin imprimées dans ma mémoire refirent surface. Je me suis aussitôt inscrite. Je pense qu'une femme aurait pu très bien participer à l'aventure lunaire. Par la suite, nous avons prouvé que nous étions aussi résistantes et compétentes que les hommes. Mais dans les années soixante... Tout au long de la sélection, je n'ai absolument pas pensé que j'étais une fille dans un milieu d'hommes. Ce n'est que le jour où il y a eu la présentation des candidats sélectionnés que je me suis rendu compte que j'étais la seule femme. Par la suite, je n'ai jamais eu le moindre problème avec les cosmonautes masculins. Dans l'espace, c'est uniquement une question de compétence. Quand j'ai volé avec Leonov, héros de l'Union soviétique, le premier homme à être sorti dans l'espace, je pouvais me permettre de lui dire : "Alexeï, je ne suis pas d'accord avec toi, il vaudrait mieux faire comme cela." Il acceptait de m'écouter et, généralement, j'avais raison.

Explorer, cela fait partie des gènes de l'homme. Un jour, nous retournerons sur la Lune, puis sur Mars et bien au-delà... Il ne faut absolument pas couper le fil qui a commencé à se dérouler le 20 juillet 1969. Pour l'instant, les Américains, les Russes et même les Chinois parlent d'y retourner. Il faut que l'Europe participe franchement à cette aventure. Elle en a les moyens, elle possède des lanceurs et des spationautes. Le retour sur la Lune sera, forcément, l'affaire d'une coopération internationale. Pour tous les jeunes d'aujourd'hui, ce serait une merveilleuse aventure à donner en exemple. Certains prétendent qu'on n'a pas besoin de lancer des hommes dans l'espace, que des sondes automatiques et des robots suffiraient à faire le boulot. Mais rien ne peut remplacer l'être humain. TreÌs souvent, on me demande quelle impression fait la Terre depuis l'espace. Quand j'eìtais en voyage officiel en Chine, le Premier ministre chinois lui-même m'a attirée dans un coin pour me poser cette question. Rien que pour y répondre, il faut que les hommes continuent à se rendre dans l'espace. Aller moi-même sur la Lune ? Pourquoi pas, je dois être encore la seule femme à posséder un brevet de sauveteur de vaisseau Soyouz... Si on me le proposait - mais on ne le fera pas -, je répondrais oui sans hésiter, quitte à y consacrer dix ans de ma vie."

Jean-Jacques Dordain, directeur général de l'Esa (Agence spatiale européenne)

"Je me rappelle forcément le 20 juillet 1969, c'est le jour où j'ai passé mon diplôme d'ingénieur ! Dans l'après-midi, j'ai pris ensuite le volant pour le Gers, où j'ai regardé les premiers pas d'Armstrong chez des amis. On ne pouvait pas rater cela. J'étais déjà passionné d'espace. J'ai passé toute mon adolescence l'oreille collée à la radio pour suivre tous les vols de Gemini et d'Apollo. Bien sûr, quand j'ai regardé la retransmission d'Apollo 11, je trouvais ça extraordinaire. Je l'ai vécu au premier degré. Mais, avec le recul, je m'aperçois que le premier pas de l'homme sur la Lune accompagné du drapeau américain n'est pas l'événement le plus important. Celui-ci s'était déroulé quelques mois auparavant, lors d'Apollo 8. C'est la première fois que l'homme échappait à l'attraction terrestre et faisait le tour de la Lune. Mais, surtout, c'est la première fois que des hommes ont pu voir la Terre depuis l'espace.

Bien sûr qu'il faut y retourner avec des hommes. La dimension humaine est indispensable pour que le public adhère à la conquête spatiale. Il se reconnaît davantage dans les astronautes que dans les ingénieurs. Mais ce retour sur la Lune ne peut pas se faire d'une manière autonome. Du reste, aucun des pays concernés n'y compte vraiment. Il faut travailler à un programme global. Les cinq partenaires parties prenantes de la Station spatiale internationale doivent être d'accord pour accueillir d'autres pays, y compris la Chine, l'Inde et d'autres... Personnellement, je suis partisan de la participation des Chinois. Dans cette affaire, l'Europe peut apporter son lanceur Ariane V. Avec l'ATV, elle a montré qu'elle était capable d'organiser des rendez-vous dans l'espace. Et puis nous avons les astronautes de l'Esa.

Quant à entreprendre une véritable colonisation d'une planète terrestre ou plus lointaine, je n'y crois pas trop à cause de l'échelle de temps. Rien que terraformer Mars (la rendre habitable telle la Terre) prendrait des milliers d'années. Avec de simples règles à calculer, l'Amérique des années soixante a mis moins de neuf ans pour placer un homme sur la Lune ; avec nos ordinateurs, il n'y a pas de raison que nous mettions plus de dix ans. Moi, partant ? Mais bien sûr que je le suis, comme tout le monde. N'oubliez pas que j'ai fait partie en 1977 des cinq astronautes français présélectionnés pour Spacelab-1."

André Brahic, astronome, découvreur des anneaux de Neptune

"Le 20 juillet 1969, je suis dans le désert de Syrie, je prends le thé dans un village de nomades où il y a une télé. C'est un moment extraordinaire. Je suis en Mésopotamie, le berceau de l'humanité, le premier regard sur le ciel ! Autour de moi, j'ai l'impression que la vie n'a pas beaucoup changé depuis quatre mille ans et, en même temps, je regarde les images d'hommes mettant le pied sur la Lune. C'est extraordinaire, émouvant. Aujourd'hui, quarante ans plus tard, je reste persuadé que le système solaire et les étoiles seront pour nous ce que furent l'Amérique et l'Océanie pour nos ancêtres : de nouvelles terres. Il n'est pas impossible que l'homme parte coloniser des planètes tournant autour d'autres étoiles et ne revienne pas. Imaginez une étoile située à quatre années-lumière, le voyage ne prendrait que vingt ans ! C'est presque plus facile de partir en fusée vers une autre étoile que de traverser le Pacifique à bord d'un radeau comme les ancêtres des Hawaïens ont pu le faire. Dans trois mille ou quatre mille ans, les livres d'histoire diront que l'épopée spatiale a démarré en 1969 quand l'homme a mis le pied sur la Lune.

Les retombées de la conquête lunaire sont très nombreuses. Par exemple, les roches rapportées ont permis de mieux comprendre la Terre. Y retourner ? Certes, mais un objectif uniquement géopolitique serait du gâchis. En tant que géophysicien, j'affirme : ne gaspillons pas notre argent en envoyant immédiatement un homme sur Mars pour une somme démentielle. Commençons par envoyer plusieurs dizaines de sondes automatiques, puis, après seulement, un géologue pour trouver des fossiles. Pas un sportif, pas un militaire, mais un vrai scientifique à qui il faudrait rendre les conditions de voyage un peu plus commodes. Malheureusement, les hommes politiques actuels n'ont pas de culture scientifique. Il n'est donc pas sûr qu'ils prennent la bonne décision. Néanmoins, je reste persuadé que si les hommes ne sont pas assez fous pour s'autodétruire, un jour nous occuperons les satellites de Jupiter et les anneaux de Saturne pour récupérer les minerais et les carburants de demain. Moi-même, je rêverais d'aller sur la Lune, de visiter les satellites de Saturne et de Jupiter. Mais le prix à payer pour l'instant est trop cher. Cela demande vingt ans d'entraînement. Ah, la centrifugeuse ! Maintenant, si on me dit on te met dans un confort très grand, comme dans les premières classes d'Air France, alors, je suis partant."

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