Par akademiotoelektronik, 28/05/2022

L'irrésistible attrait pour les magasins

Le principeLes intérêtsLes limites

De l’extérieur, Carrefour Flash a tout d’un magasin lambda… A priori. À la différence d’autres points de vente autonomes, ce nouveau concept développé par le distributeur ressemble à un commerce de proximité classique : pas de portique à l’entrée, des salariés présents. Deux gondoles basses, des meubles muraux, une offre de dépannage traditionnelle. Rien d’étonnant pour cette supérette de 50 m² ouverte le 25 novembre au 11 avenue Parmentier, à Paris (voir ci-contre).

Mais c’est à l’intérieur que cela se passe : baptisé Flash 10-10 en interne, le lieu, un ancien Carrefour Express, puis Drive Piéton, réunit 900 références et doit permettre de faire ses emplettes en dix secondes et de payer en dix secondes aussi. « Pour nous, c’est un vrai magasin de proximité, avec un parcours 100 % autonome », précise Élodie Perthuisot, directrice exécutive e-commerce, data et transformation digitale du groupe. De fait, sa singularité réside dans son arsenal techno : des caméras identifient le client dès l’entrée et le transforment en avatar anonyme, chacun de ses mouvements étant tracé. Les étagères sont truffées de capteurs de poids pour analyser les produits saisis et éventuellement reposés. Enfin, pour le paiement, une tablette identifie les produits sélectionnés qui restent à payer en sans-contact, s’ils n’excèdent pas 50 €. Plus besoin de scanner, tout est fait automatiquement. Un petit graal du commerce, développé avec la start-up AiFi.

S’il s’agit d’une première en France pour Carrefour, après un long test en interne au siège de Massy (91), le groupe avait déjà planché sur les magasins autonomes. Le Brésil sert, lui aussi, de laboratoire avec 6 Carrefour Flash Scan & Go, et une quinzaine d’autres à venir d’ici à fin 2021. « La technologie n’y est pas la même, car le client scanne chacun des produits qu’il achète, et nous visons des zones résidentielles où nous n’étions pas présents », précise Miguel Angel Gonzalez Gisbert, directeur monde de la technologie et data pour Carrefour. À Dubaï, en partenariat avec son franchisé Majid Al Futtaim, Carrefour a aussi lancé sa copie à la rentrée. Le client s’y identifie dès l’entrée et son paiement est débité une fois qu’il a quitté le lieu de vente. À chacun sa méthode, l’idée étant de tester plusieurs configurations.

Carrefour est loin d’être le premier à se lancer. En la matière, l’exemple ultime – et le grand pionnier – est Amazon Go, la supérette techno ouverte au public par le géant de Seattle ­début 2018. Dans ce lieu de vente compact, une armée de capteurs et de senseurs analyse les articles pris en main et calcule automatiquement le montant du panier virtuel, qui est débité du compte du client une fois celui-ci sorti des lieux. Un système déployé dans quelques dizaines de magasins du groupe et, bientôt, si l’on en croit les annonces, dans ses plus grands points de vente, comme Whole Foods.

Une obligation ou presque

À l’heure où le digital est perçu comme une priorité pour toutes les enseignes dans le but, entre autres, de contrer Amazon et les grands vendeurs du web, disposer d’un magasin autonome, où le client réalise son achat et le paiement, est devenu une obligation, ou presque. Car c’est un moyen de montrer, notamment aux investisseurs et actionnaires, qu’un distributeur reste dans le coup et est capable de faire une proposition innovante sur les sujets actuels. En 2017, alors que Georges Plassat était PDG de Carrefour, un tel projet lui avait été soumis, n’emportant que méfiance et moqueries.

En 2021, la donne est bien différente. Carrefour pousse les feux sur le digital comme jamais, avec des ambitions fortes – atteindre 10 % du chiffre d’affaires total par ce biais d’ici à 2026. Il multiplie les initiatives sur la livraison, l’e-commerce et, depuis peu, le quick commerce. Rien d’étonnant donc à ce que distributeur français s’invite sur le créneau disputé du maga­sin autonome ou connecté (les débats sont ouverts sur la sémantique à adopter). Un modèle qui fonctionne avec des technologies plus ou moins simples, allant de la RFID (qui nécessite de sticker tous les produits…) au contrôle du poids via des rayons équipés de balances (pour déduire les références prises en main par le client), jusqu’aux solutions plus complexes (capteurs, analyse d’images en temps réel, etc.). Parmi les acteurs de ces prouesses, on trouve Amazon et sa technologie Just Walk Out, celle du chinois Cloudpick (chez Auchan Go), de l’israélien Shekel Brainweigh (Black Box de Monop’), ou des américains AiFi ou Zippin.

Côté client, cette nouvelle génération de magasin apporte la promesse de courses rapides et « sans couture », selon l’expression consacrée. En clair, il faut mettre le moins d’obstacles possible autour de l’acte d’achat, notamment en simplifiant au maximum les points cruciaux de l’identification et du paiement. Ainsi, Amazon a démarré avec son appli ad hoc dotée qu’un QR Code à flasher pour s’identifier. Une solution qui est toujours de mise, mais d’autres options sont apparues. Vous n’avez pas votre smartphone ? Présentez votre carte bancaire dans le lecteur présent dans le portique d’entrée. Si la carte est reliée à un compte Amazon, le client est alors identifié. Vous n’avez pas votre carte bancaire non plus ? Posez la paume de votre main sur votre lecteur ! Cette innovation spectaculaire, Amazon One, existe déjà dans 70 magasins aux États-Unis. Mais difficile, pour le moment, de l’importer en France. La fuite en avant vers la simplicité fait évoluer les pratiques. Pour les boutiques de snacking aéroportuaires Hudson Nonstop ­déployées depuis peu avec la technologie Amazon, l’identification n’est plus requise, l’usage de la CB pour débloquer le portique d’entrée étant suffisant (avec une carte débitée à la sortie).

L'irrésistible attrait pour les magasins

Un attrait plus qu’un essor

À ce jour, les centaines de points de vente auto­nomes dans le monde font les choux gras de la presse, mais restent des vitrines plus qu’un nouveau standard à venir. D’abord, parce qu’ils ne correspondent pas aux gros pleins de courses. Ils servent, pour l’essentiel, à des achats alimentaires de dépannage dans des supérettes de quelques dizaines de mètres carrés. Avec des contraintes particulières : Carrefour Flash à Paris dispose de moins d’une dizaine de références de fruits et légumes vendus par lot. Et la technologie ne permet pas toujours de gérer les poids variables ou les achats en vrac. De quoi se convaincre que ce modèle ne deviendra pas tout de suite l’équipement d’un commerce de destination. Sauf si des systèmes comme Just Walk Out, qui le permet, s’imposent vite.

En attendant, les magasins autonomes desservent surtout les zones et lieux de flux, où les files d’attente se forment en quelques secondes lors des pics comme la pause déjeuner ou durant la mi-temps et des entractes dans les stades. Ce n’est pas un hasard si Amazon a ­commencé à vendre Just Walk Out à des acteurs du loisir et des aéroports, avant de signer avec un distributeur plus traditionnel, comme ­Sainsbury’s au Royaume-Uni.

Attention, aussi, à ne pas se laisser aveugler par cette abondance de caméras et capteurs. Derrière l’effet waouh, un magasin autonome a un coût, loin d’être négligeable. « Cela représente plusieurs milliers d’euros par mètre carré. C’est un modèle qui ne peut pas être supporté économiquement à grande échelle par des acteurs de l’alimentaire », analyse un expert du secteur. Selon le site Business Insider, le coût pour une supérette Amazon Go de quelques dizaines de mètres carrés, qui était de 4 millions de dollars par an en 2017, aurait été abaissé à 160 000 \$ annuels (142 000 €) depuis. La courbe des prix chute mais l’investissement reste élevé, compte tenu des marges à espérer dans ces petits lieux de vente.

Enfin, ces parcours sans personnel se heurtent aux normes en place. « En Europe, il y a une obligation forte de s’identifier au moment du paiement. C’est d’autant plus le cas depuis l’entrée en vigueur en mai de la DSP2 (deuxième directive européenne sur les services de paiement, NDLR). Un système Amazon Go, où le client est débité une fois sorti du magasin, ne serait pas possible en France », pointe Jean-­Michel Chavanas, délégué général de Mercatel. Sans compter des freins psychologiques, dans ces lieux de vente où le client est traqué et le personnel souvent absent. Voire des freins culturels, ou plus rationnels : Monoprix, qui a testé un espace autonome pour l’un de ses concepts de proximité à Paris, a dû se résoudre à le fermer, les lieux ayant été pillés de nuit.

Aux antipodes de l’hyper ou du supermarché avec ses rayons de produits frais préparés sur place et son personnel d’accueil ou d’accompagnement, nul doute que de nouvelles versions de magasins autonomes essaimeront – tout en relançant le débat sur l’emploi – et pourront offrir des possibilités pour des emplacements urbains ou bien précis. Là où le consommateur veut aller vite, très vite, et limiter les interactions. Mais à l’heure de la traque du moindre irritant, et où l’expérience client est sacralisée, mesure du NPS (Net Promoter Score) à l’appui, les magasins autonomes marquent des points. Le défi principal étant peut-être, finalement, d’exporter l’effacement du passage en caisse dans des plus grands formats. En marge des résultats du troisième trimestre d’Amazon fin octobre, le directeur financier du groupe, Brian Olsavsky, indiquait que l’entreprise « travaillait toujours avec autant de force et de passion » sur la technologie Just Walk Out qui, après avoir été utilisée chez Amazon Go, migrait désormais dans certains des supermarchés Amazon Fresh, beaucoup plus grands (plus de 3 000 m²).

Surtout, le groupe de Seattle prévoit l’an prochain d’équiper « de série » deux magasins Whole Foods pas encore sortis de terre avec Just Walk Out, soit des très grands supermarchés avec des assortiments de plusieurs dizaines de milliers de références et des articles en vrac et à poids variables, y compris du snacking et de la restauration. Un sujet à surveiller de près tant il pourrait avoir des conséquences autrement plus profondes si l’on commence à parler de supermarchés autonomes plutôt que de supérettes autonomes.

Des technologies plus ou moins avancées d'un distributeur à l'autre Les magasins semi-autonomesDe nombreux magasins existants passent en mode autonome pour étendre leurs horaires la nuit et/ou le dimanche. D’autres proposent des parcours de courses autonomes dans des structures fonctionnant avec du personnel (test chez Intermarché, et dans le supermarché azbuka Vkusa à Moscou). Quand le parcours ou le magasin est autonome, seules les caisses libre-service fonctionnent et les vigiles sont les seuls professionnels présents. Franprix a réalisé les premiers tests au mois de mars 2018, à Paris. Depuis, des magasins Monoprix, géant et Carrefour ont développé le modèle dans certains points de vente. Les prémices low techAuchan Minute est déployé en Chine depuis 2017. Le principe de ce magasin ultracompact: l’utilisateur s’identifie via une application (WeChat en Chine) pour pouvoir entrer. Il scanne dans l’appli tous les produits choisis et effectue le paiement dans ce même outil. Depuis, Auchan Minute a été déployé massivement en Chine et s’est exporté en France, mais à très petite échelle. Albert Heijn (groupe Ahold Delhaize)a déployé un système similaire en 2018 avec une carte NFC aux Pays-Bas puis en Allemagne. La déferlante des BoxSur le modèle d’Amazon Go, plusieurs magasins containers proposent des surfaces de vente en self-service. Le client accède et sort du magasin le plus souvent en scannant un QR Code ou sa carte bancaire, qui permettra aussi parfois d’ouvrir des armoires réfrigérantes (Okay en Belgique). En France, la société store lift a été la première à ouvrir un magasin autonome à Gennevilliers (93), en septembre 2020. Plusieurs distributeurs lancent leur concept: Auchan go et la Black Box de Monop’ s’y essaient en France, Migros a sorti sa Voi Cube en début d’année en Suisse. Rewe a lancé un modèle de magasin mobile en Allemagne, un Carrefour City Plus est sorti de terre à Dubaï à la rentrée et Carrefour Flash scan& go essaime au Brésil avec bientôt 20 magasins. La Black Box de Monop’, entièrement automatisée, a la taille d’un container de 18 m2 avec 300 références. L’entrée de la Voi Cube de Migros se fait via une appli. Le client scanne ses produits avec son smartphone et paie à une caisse en sortant. Amazon Go : chronologie d'un succès Le 5 décembre 2016, Amazon jetait un sérieux pavé dans la mare du retail avec une simple vidéo. Sur YouTube, le géant de l’e-commerce dévoilait « Amazon Go et sa technologie de shopping la plus avancée au monde ». En 1 minute 49, les images montraient le fonctionnement de ce magasin révolutionnaire (au démarrage testé par les salariés du groupe) où il suffit de mettre les produits désirés dans son sac et de sortir pour être facturé automatiquement. Agrémentée de termes comme computer vision, deep learning algorithms, sensor fusion, cette présentation se concluait sur quelques mots avant-gardistes : « Pas de files d’attente, pas de caisses. Sérieusement. » Depuis ce coup d’éclat, c’est peu dire que la technologie Just Walk Out (JWO) mise en avant, faite de capteurs, caméras et senseurs, attise la curiosité. Après une phase de rodage au sein de l’écosystème Amazon, elle est désormais commercialisée depuis un an chez des partenaires et des distributeurs.Janvier 2018. Le premier magasin Amazon Go s’ouvre au public à Seattle (on en compte 26 à ce jour aux États-Unis).Mars 2020. Ouverture d’Amazon Go Grocery, supermarché de 1 000 m² équipé de la technologie Just Walk Out (JWO).Installation de la technologie JWO pour des espaces Grab & Go de restauration dans le stade United Center de Chicago.OTG, qui exploite des restaurants et boutiques d’aéroports aux États-Unis, commence à déployer la solution conçue par Amazon pour ses espaces Cibo Express Gourmet Markets.Mars 2021. Un supermarché Amazon Fresh ouvre à Londres, le premier hors des États-Unis. Plus grand que les supérettes Amazon Go, il repose sur la technologie Just Walk Out (7 unités à ce jour).Hudson, qui exploite plus de 1 000 magasins en aéroport et lieux de flux en Amérique du Nord, lance son premier magasin autonome Hudson Nonstop (ci-dessus), équipé de la technologie JWO, à l’aéroport de Dallas. D’autres aéroports en bénéficient également dans les mois suivants.Deux points de vente MRKT (boissons et snacking) avec la technologie JWO d’Amazon sont installés au stade TD Garden de Boston.Juin 2021. Le magasin Amazon Fresh de Factoria Bellevue (État de Washington), d’une surface de 3 500 m², est équipé de Just Walk Out dès son ouverture. C’est la première fois que cette technologie s’applique sur ce format de magasin, également équipé des caisses traditionnelles.Octobre 2021. Amazon annonce que deux Whole Foods Market, qui ouvriront l’an prochain, proposeront la technologie Just Walk Out.Amazon indique que la solution JWO a été installée dans trois sites opérés par des partenaires pour des boutiques : le centre de congrès du Javits Center à New York et les salles de spectacle du Forum à Los Angeles et du Climate Pledge Arena à Seattle.Fin 2021. Le 18 novembre, Starbucks ouvre à New York un magasin Pickup combiné à un Amazon Go.Sainsbury’s doit ouvrir à Londres son premier magasin automatique équipé de la technologie JWO.WHSmith va ouvrir prochainement dans un aéroport américain un petit espace équipé de la technologie JWO et prévoit de dupliquer ce modèle sur une partie des prochaines créations de kiosques en aéroport.

Julie Delvallée et Morgan Leclerc

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