By akademiotoelektronik, 22/06/2022

13 novembre 2015 : comment les terroristes ont préparé les attentats, un an auparavant

Le 12 novembre 2015, en fin d’après-midi, trois voitures de location quittent la Belgique en direction de Paris. Une Polo noire démarre de la ville de Jette avec à son bord les trois terroristes du Bataclan (Samy Amimour, Ismaël Omar Mostefai et Foued Mohamed Aggad), ainsi que l’un des terroristes du Stade de France, Bilal Hadfi. Deux autres véhicules partent de Charleroi. À bord de la Seat Leon noire, deux des terroristes du Stade de France (Ahmad al Mohammad et Mohamad Almahmod) et deux des terrasses ​(Chakib Akhrouh et Abdelhamid Abaaoud). À bord de la Clio noire, les frères Abdeslam, Salah et Brahim (ce dernier se fera exploser à une terrasse de restaurant) et Mohamed Abrini qui sera jugé, lors du procès des attentats à Paris à partir du 8 septembre, pour complicité de meurtre en lien avec une entreprise terroriste.

Les trois véhicules franchissent le péage d’Hordain dans le Nord, entre 17 h 34 et 17 h 51 et celui de Chamant dans l’Oise, entre 18 h 43 et 18 h 59. Ce que l’un des terroristes a surnommé le convoi de la mort ​est alors en route vers son funeste projet.

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Un commanditaire, plusieurs chefs opérationnels

Selon la minutieuse enquête menée par plusieurs services de police dont la SDAT (la Sous-direction antiterroriste de la police judiciaire), c’est en Syrie, au moins un an auparavant, qu’a été prise la décision de commettre des attentats de grande ampleur en France​. L’idée émanerait d’un certain Oussama Atar, alors chef de la cellule des opérations extérieures de Daech. Une légende ​au sein de l’État islamique, à en croire un djihadiste belge. Un homme de nationalité belge et marocaine, qui à l’âge de 31 ans (en 2015) affichait déjà un CV de djihadiste endurci et entamé avant ses 20 ans. Dès 2004, il combattait les troupes américaines à Falloujah, en Irak.

Pour mettre en œuvre ses projets meurtriers, Oussama Atar s’appuie sur ses cousins belges Khalid et Ibrahim El Bakraoui, chargés de mettre en place une cellule logistique en Belgique. Les frères El Bakraoui mourront lors des attentats qu’ils fomenteront aussi à Bruxelles, le 22 mars 2016. Le commanditaire recrute également deux djihadistes belges et francophones : Najim Laachraoui qui sera l’un des artificiers des attentats du 13 novembre et qui sera l’un des kamikazes des attentats de Bruxelles, et Abdelhamid Abaaoud, le chef opérationnel des attentats menés à Paris et à Saint-Denis. Combattant aguerri, ce Belge âgé de 28 ans en 2015 a effectué plusieurs séjours en Syrie à partir de 2012. Il est mort dans l’assaut donné par le Raid, à Saint-Denis, dans la nuit du 17 au 18 novembre 2015.

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Six planques en Belgique

Pour mener à bien leur projet, les terroristes ont fait preuve d’une extrême prudence, faisant en sorte, à tout instant, d’éviter d’être repérés. En Belgique d’où les protagonistes sont originaires, ils louent pas moins de six planques : un appartement à Verviers, deux à Schaerbeek, un à Charleroi, un à Jette et une maison à Auvelais. Ces recherches de discrets logements auraient débuté dès le mois d’août 2015.

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Dans l’appartement de Verviers, un duplex au 3e étage d’un immeuble dont plusieurs autres appartements n’étaient pas loués, les enquêteurs retrouveront divers matériels suggérant que les lieux avaient servi à fabriquer des ceintures explosives.

13 novembre 2015 : comment les terroristes ont préparé les attentats, un an auparavant

Dans l’appartement de Charleroi, peu de voisinages également si ce n’est une dame de 70 ans atteinte de la maladie d’Alzheimer et une femme avec ses deux enfants. Bilal Hadfi, l’un des terroristes du Stade de France, et Abdelhamid Abaaoud notamment y séjournèrent.

Des caches abandonnées en l’état

L’appartement à Jette sera, lui, localisé grâce à la plainte pour escroquerie déposée par son propriétaire, un vétérinaire. Ce dernier avait loué les lieux, mi-septembre 2015, à un homme qui s’était présenté sous une fausse identité, Algerto Malonzo, et qui avait fourni de fausses fiches de paie, prétendument émises par une société informatique. Il s’agissait en fait de Mohamed Bakkali, qui sera l’un des accusés du procès des attentats en septembre et qui a déjà été condamné à 25 ans de réclusion pour avoir participé à l’attaque du train Thalys, le 21 août 2015.

Or, le 6 mars 2016, soit environ deux semaines avant les attentats de Bruxelles, le propriétaire de l’appartement reçoit un mail, prétendument écrit par la sœur du faux Malonzo, lui annonçant que son frère ​serait entre la vie et la mort en Espagne, que l’appartement avait été vidé et que les clés lui seront restituées par la poste. Le lendemain, le propriétaire se rend sur place et découvre de nombreux dégâts. Il décide alors d’appeler l’employeur supposé de son locataire, qui lui apprend que les fiches de paie sont fausses… Cette société n’a jamais employé un quelconque Malonzo.

C’est une constance des terroristes : ils laisseront le plus souvent les lieux tels qu’ils les ont occupés, ne cherchant pas à effacer leurs empreintes.

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Les commandos débarquent en Europe

Une grande partie des djihadistes qui vont participer aux attentats de Paris, Saint-Denis et Bruxelles arrivent en Belgique, en provenance de Syrie, entre le 1er septembre et la mi-octobre 2015 : douze hommes répartis en cinq groupes qui seront logés dans l’une des six planques belges. Douze hommes récupérés en Allemagne ou en Hongrie par un seul individu : Salah Abdeslam.

Ces douze hommes ont principalement emprunté la route de migrants. Syrie, Turquie, l’île de Léros en Grèce puis Athènes. Lors du dernier convoi, le 14 octobre 2015, quatre hommes débarquent sur l’île de Léros : Ahmad Al Mohamad et Mohamad Almahmod, deux des trois terroristes des terrasses, mais aussi deux individus présentant des cartes d’identité syriennes au nom de Khaled Alomar et Faisal Alaifan. De faux papiers évidemment. Ces deux derniers vont être arrêtés et incarcérés sur place, les interprètes ayant détecté qu’ils n’étaient pas Syriens. Ahmad Al Mohamad et Mohamad Almahmod, en revanche, sont relâchés et reprendront leur périple en direction de la Croatie où leur trace se perd.

Salah Abdeslam entreprend de son côté plusieurs allers retours pour récupérer les terroristes. Il loue des véhicules haut de gamme : Audi A6, BMW 118, BMW318… Bizarrement, dans la même société de location. Mais à chaque fois, il laisse son téléphone portable chez lui et utilise des lignes téléphoniques occasionnelles. Le 16 septembre 2015, il partait ainsi de Bruxelles pour se rendre à Budapest (Hongrie) où il récupère Ismaël Omar Mostefai, Foued Mohamed Aggad et Samy Amimour, soit les trois terroristes du Bataclan. Qu’il déposera à Bruxelles le 19 septembre. Un aller-retour d’environ 2 700 km en trois jours.

Des ceintures explosives faites « maison »

Les ceintures utilisées par les terroristes du 13 novembre ont toutes été fabriquées selon le même modèle. Dévastatrices, elles sont composées de deux charges explosives à base de TATP (tri acétone tri peroxyde) – l’une disposée au niveau de l’abdomen du kamikaze, l’autre au niveau de son dos – et de plusieurs centaines d’écrous, le tout étant relié à un système sommaire d’amorçage électrique. L’ensemble étant maintenu dans une sorte de gilet constitué de tissu et de cordelettes.

Bref une ceinture relativement rudimentaire, mais malgré tout délicate à confectionner car si les produits entrant dans la composition du TATP se trouvent aisément (dans des grandes surfaces ou magasins de bricolage), cet explosif présente l’inconvénient d’être instable, sensible aux chocs ou à une élévation de température​, précisent les enquêteurs. D’où l’arrivée à Bruxelles d’artificiers de Daech. Osama Krayen, notamment, de nationalité suédoise, l’un des accusés du procès de septembre, est soupçonné d’avoir fabriqué ces ceintures : il est venu dans les planques belges et maniait déjà des explosifs en Syrie pour Daech. Mais aussi Ahmad Alkhad, spécialiste en explosifs au sein de la cellule des opérations extérieures de l’État islamique. Ce dernier qui a regagné la Syrie avant les attentats parisiens, s’est fait arrêter à Vienne le 1er novembre.

Des achats massifs de matériel… pour d’autres cibles ?

Quoi qu’il en soit, les terroristes ont pris moult précautions pour acheter tout le matériel nécessaire. Et ils en ont acheté beaucoup plus que nécessaire pour les seuls attentats parisiens. Ce qui laisse penser aux enquêteurs qu’ils avaient envisagé d’autres cibles…

Salah Abdeslam, semble-t-il, est ainsi venu acheter des boîtiers récepteurs et des télécommandes, à Saint-Ouen-l’Aumone (Val d’Oise), dans un magasin pyrotechnique appelé Les magiciens du feu. Le gérant s’en est souvenu après les attentats car cet achat de 390 € lui avait semblé étrange : le terroriste n’avait acheté que les systèmes de mise à feu, pas les artifices.

Aucune de ces pièces n’a toutefois servi pour les attentats parisiens. À quels autres lieux étaient-elles destinées ? Pour constituer le TATP, les djihadistes se sont également mis en quête d’un liquide oxygéné qui en temps normal sert à la désinfection de l’eau des piscines. Ils en ont acheté deux bidons dans un premier magasin. Puis trois autres bidons de cinq litres dans un autre commerce. Soit presque deux fois plus que la dose utilisée pour les attentats du 13 novembre…

Un approvisionnement en armes grâce à plusieurs filières

La provenance des armes à feu, en revanche, reste plus nébuleuse. D’où proviennent, par exemple, les trente-deux chargeurs de kalachnikov retrouvés dans l’un des véhicules ayant transporté les terroristes ainsi qu’au Bataclan ? Les enquêteurs n’ont pas trouvé de réponses certaines mais ont exploré plusieurs pistes. Notamment une filière en Belgique, entre Verviers et Liège.

Une note de renseignement de la police belge, datée de décembre 2015, indiquait ainsi qu’une semaine avant les attentats de Paris, Mohamed Bakkali et un autre individu cherchaient six kalachnikovs. Ils en auraient trouvé quatre ​à Verviers au prix de 2 200 € l’unité.

Autre piste explorée par les enquêteurs : une filière à Rotterdam, aux Pays-Bas. Ainsi, le fusil d’assaut Vzor, retrouvé dans l’appartement de Forest, le 15 mars 2016 (là où Salah Abdeslam a échappé une première fois aux policiers belges avant d’être arrêté trois jours plus tard), faisait partie d’un lot de 1 500 armes démilitarisées par la firme slovaque Kol Arms, achetées sous une fausse identité, acheminées aux Pays-Bas et revendues après avoir été remises en état de fonctionnement​, relèvent les enquêteurs.

Lignes téléphoniques prépayées et faux-papiers

Enfin, on ne peut être qu’interloqué par la multitude d’autres précautions prises par les terroristes pour mener à bien leurs attentats et passer sous les radars des policiers et services de renseignement.

Ces derniers ont ainsi utilisé pas moins de dix-sept lignes téléphoniques prépayées qu’il était possible d’activer à partir de fausses identités : six ont été utilisées en Belgique, huit par les commandos venus en France et trois ont servi à trouver une cache à Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh, au lendemain du 13 novembre. Chacune de ces lignes a été mise en service dans des téléphones différents et très répandus : Nokia 105, Samsung G355H…

Depuis décembre 2016, une loi belge oblige les opérateurs téléphoniques à identifier tout acquéreur d’une ligne prépayée. Une loi qui n’était pas encore totalement respectée en 2018 puisque l’opérateur dont se sont servis les terroristes (Lycamobile), était mis à l’amende pour ne pas avoir respecté cette obligation.

À la décharge de ce dernier, les djihadistes ont également usé de quantité de faux papiers qu’ils faisaient faire par un réseau belge désormais démantelé et surnommé Catalogue. Entre décembre 2014 et septembre 2015, ce réseau dont l’atelier était situé à Saint-Gilles (dans la région de Bruxelles), a fourni quatorze fausses cartes d’identité belges au groupe terroriste. Sur les photos, certains de ces derniers apparaissaient d’ailleurs grimés pour être encore moins identifiables. Chaque carte était payée 1 000 € par les djihadistes.

Les membres du réseau Catalogue qui, au total a négocié plus de 2 200 faux papiers (cartes d’identité, passeports, actes de mariage…) avec des centaines d’individus, ont été condamnés en Belgique, en janvier 2017, à des peines allant de la prison avec sursis à huit ans de prison ferme. Farid Kharkhach qui est accusé d’avoir servi d’intermédiaire entre les terroristes et le réseau Catalogue, sera aussi jugé au procès qui s’ouvre en septembre, à Paris.

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