By akademiotoelektronik, 18/01/2023

L’immortalité numérique, le « délire » des transhumanistes ?

Simuler notre esprit, un rêve en voie de réalisation ? Que l’on se rassure, Johnny Depp n’ira pas contaminer nos réseaux électriques comme dans Transcendance. Quoiqu’en dise Ray Kurzweil et Google, implanter le cortex neuronal dans une machine est encore loin d’être chose acquise. A ce propos, Jean-Claude Heudin, expert en intelligence artificielle, avait publié « Immortalité numérique : intelligence artificielle et Transcendance », où il critique vivement l’analogie qui est faite constamment entre l’ordinateur et le cerveau.

Alors que Technoprog, l’Association Française Transhumaniste (AFT), défend le fait qu’on ait réussi à reproduire des réseaux de neurones, Jean-Claude Heudin proclame qu’il faut arrêter pour autant de penser que l’immortalité numérique est possible. Nous l’avons donc interviewé afin d’en savoir un peu plus sur les avancées dans la simulation du cerveau humain et les progrès de l’intelligence artificielle.

Directeur de l’Institut de l’Internet et du Multimédia, Jean-Claude Heudin est un enseignant et chercheur scientifique, spécialisé dans l’intelligence artificielle. Il a cofondé une société spécialisée en IA et participé à plusieurs applications importantes de l’intelligence artificielle pour la Défense et l’industrie jusqu’en 1995. Il a également été un conseiller scientifique pour la Cité des Sciences, organisateur des conférences internationales « Virtual Worlds » et expert auprès de la communauté européenne pour les projets « Future Emerging technologies ».

C’est toujours la boule de cristal pour un sujet comme l’IA, qui a toujours été sujet à des prophéties plus ou moins miraculeuses. Déjà dans les années 80, on disait que l’informatique était finie et qu’il ne resterait plus que l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle, c’est aussi vieux que l’informatique. Il est impossible de prédire si en 2024, le marché de l’IA atteindra des milliards et des milliards de dollars. Il y a des choses qui font partie de l’IA actuellement et qui ne seront peut-être plus de l’IA d’ici 20 ans.

Après effectivement, nous nous situons plutôt dans le haut de la vague aujourd’hui. Il y a eu des avancées récentes dans les laboratoires avec des investissements élevés de la part des grandes entreprises américaines telles que Google ou Facebook. On peut supposer qu’il y aura des retombées à long terme. Néanmoins, de là à partir dans des délires transhumanistes, je n’irai pas jusque-là. Au final, le domaine de l’IA est similaire à celui de la robotique, ils suscitent tous deux des fantasmes portés par la culture populaire, qui viennent se heurter à la réalité des laboratoires.

L’immortalité numérique, le « délire » des transhumanistes ?

La pensée de Stephen Hawking est intéressante mais il faut faire la part des choses. Que ce soit la plus grande crainte aujourd’hui, il faut arrêter. Il existe des menaces beaucoup plus importantes que l’avènement hypothétique d’une intelligence artificielle qui nous décimerait en 2045. Actuellement, nous avons les possibilités de produire des IA très compétentes dans des domaines restreints donc créer une intelligence artificielle générale, c’est complètement hors de notre portée.

C’est comme imaginer le programme Deep Mind devenir une IA omnisciente capable d’apprendre toute seule. Deep Mind est une victoire humaine avant d’être une victoire de l’IA, il y a une équipe de 20 chercheurs à chaque fois pour la maintenance, elle n’est pas du autonome. Cela reste des algorithmes très spécifiques donc il ne faut pas en déduire que l’homme est obsolète et encore moins le fait qu’une IA nous décimera tous.

Le plus gros projet aujourd’hui est le projet Human Brain, un projet qui a vu le jour aux Etats-Unis et tient pour défi de simuler la totalité du cerveau humain. Même si nous arrivons à simuler plusieurs millions de neurones, nous en sommes encore très loin. La très grande majorité des réseaux de neurones artificiels reposent sur des systèmes à couche, qui n’ont pas du tout la même organisation que dans le cortex humain. Par exemple, si l’on en revient à Deep Mind, il possède 13 couches de neurones, qui permettent à l’information d’entrer par instance. Pour l’instant, les modèles de neurones réalisés sont relativement simples.

Si c’est le projet transhumaniste tel qu’il est porté aujourd’hui par Ray Kurzweil, Google et son équivalent français, je pense qu’on est dans le délire. Dans mon livre, je prends justement l’exemple de la conscience : on n’est pas prêt de faire une machine consciente pour l’instant, alors imaginer que l’on peut simuler notre esprit dans une machine, c’est qu’on est totalement dans l’imaginaire de la science-fiction.

On oublie que le cerveau est connecté au reste du corps et que le corps a été façonné par l’environnement. Supposons que l’on place notre cerveau dans un ordinateur, c’est un véritable cauchemar ! Si l’on en était capable techniquement, on aboutirait à un être atteint de graves maladies mentales. Si vous n’êtes plus en contact avec votre corps, vous ne possédez plus de perceptions.

Le cerveau est souvent considéré comme l’objet le plus complexe de l’univers et on ne peut réduire l’intelligence à la capacité de calculs. On nous ressort la loi Moore en permanence. Tous ces progrès ne sont pas exponentiels, contrairement à ce que dit Kurzweil.

On a développé des projets de pilote électronique en lien avec la Défense française. L’idée à l’époque était d’avoir un co-pilote électronique qui aide le pilote de chasse. Un peu comme Iron Man et Jarvis. L’IA est très anthropomorphique dans les films, mais c’est déjà presque ça. Ça ne remplace pas le pilote, c’est là pour l’aider même si aujourd’hui, certains envisagent des avions totalement automatiques.

Aujourd’hui, de nombreux projets naissent autour de l’immortalité numérique. Soutenu par l’Union Européenne, Human Brain Project vise à copier la totalité du cerveau humain par le biais d’un superordinateur d’ici 2024. Le but ? Développer de nouvelles thérapies médicales autour des maladies neurologiques. Le département de génie électrique en informatique et l’Institut de neuroscience Helen Wills de l’Université de Californie ont proposé de se baser sur les particules nanométriques (aussi appelées « poussière de neurones ») afin d’intégrer un jour dans le cortex humain une interface sans fil cerveau-machine, qui tiendrait à vie. Et un millionnaire russe, Dimitri Itskov, a même prévu de créer un cerveau artificiel afin de devenir immortel, d’ici 2045.

Reste à voir si l’on pourra atteindre les bases de l’immortalité numérique d’ici les prochaines années. En tout cas, on ne pourra pas nier que le cerveau humain est trop sophistiqué pour être réduit à à une unité centrale. Et si l’on s’en tient à la règle de Hebb, deux neurones sont excités conjointement et il se créé un lien les unissant. C’est la répétition des deux stimuli qui créé l’apprentissage associatif. Par la répétition, le cerveau atteint la perfection contrairement à l’ordinateur qui n’usera pas de la répétition pour mettre en place une tâche. Alors qu’il est possible de localiser le siège de la « pensée » dans une machine, la pensée du cerveau humain se distribue largement. 100 milliards de neurones s’activent en même temps, chacun d’entre eux se trouvant connecté à 10 000 autres.

Comme l’exprimait Michio Kaku (professeur de physique théorique à la City University de New York) dans « Une brève histoire du futur », le cerveau est « plus analogique que numérique » et ne peut fonctionner en binaire. Bref, l’immortalité numérique, ce n’est pas pour maintenant.

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