Par akademiotoelektronik, 24/09/2022

Les drones : le nouveau visage de la guerre | L’actualité

Les drones armés, ces petits aéronefs sans pilotes, capables de voler des heures durant, et téléguidés depuis des bases éloignées des zones d’intervention, sont utilisés abondamment depuis une dizaine d’années – et leur contribution ira croissante.

Que ce soit les predators de première génération en mission de reconnaissance (équipés de radars, de senseurs et de caméras extrêmement précis), ou les reapers « hunter killers » et global hawks de seconde génération en mission de combat (emportant une douzaine de missiles), les drones armés seront appelés de plus en plus à remplacer les avions de chasse.

Les drones, arme de l’avenir?

La tendance est inexorable, estiment ses adeptes, parce qu’ils coûtent infiniment moins chers (entre $10 et $15 millions l’unité au lieu des $50 à $150 millions que coûtent les avions de chasse ou plus de $1 milliard que coûtent les bombardiers), parce qu’ils sont furtifs et plus précis (d’une précision déclarée de 60 % sous Bush, de 85 % sous Obama), parce qu’ils épargnent la vie des pilotes (mais pas celles des quelque 3 000 « militants » et victimes « collatérales », dont des centaines de civils, assassinés en dix ans), et parce qu’ils sont plus faciles à produire en grand nombre.

La recherche et le développement de ces aéronefs augmenteront de $2 milliards en 2011 à $4 milliards en 2020. Avec pour résultat que si 12 attaques américaines par drones se sont produites au Pakistan entre 2004 et 2007, 38 se sont déroulées en 2008, 55 en 2009, 128 en 2010, 76 en 2011 (en tout 335 attaques se sont produites depuis 2004, dont 280 depuis 2009). Celles au Yémen sont également, depuis deux ans, en croissance importante – une centaine sur le territoire de ce seul pays, auxquelles il faut ajouter possiblement 25 en territoire Somalien.

Ainsi, les États-Unis ont, sur dix ans, eu recours à plus de 450 drones armés. D’une attaque par drone en moyenne tous les 40 jours sous Bush, la moyenne est maintenant d’une tous les 4 jours sous Obama. Tandis que l’armée de l’air américaine possédait une cinquantaine de drones en 2001, une décennie plus tard on en dénombre plus de 8000, dans dix ans leur nombre pourrait atteindre 20 000. L’armée de l’air forme aujourd’hui plus d’opérateurs de drones qu’elle n’en- traîne de pilotes pour ses avions de chasse. Les premiers accumulent désormais plus d’heures de vol que les seconds ! C’est tout dire de la révolution qu’entraîne l’arrivée des drones.

Les drones : le nouveau visage de la guerre | L’actualité

Le droit. L’éthique. Les drones.

L’escalade par ceux-ci de la guerre clandestine se poursuit sans fanfare ni débat public. Pourtant, leur utilisation est loin de faire consensus et elle soulève plusieurs problèmes. Tout d’abord, leur utilisation et l’évaluation de leur « performance » sont tenues encore plus secrètes que celles des avions traditionnels – si bien que tous les chiffres avancés sont plutôt suspects.

Les drones sont téléguidés aujourd’hui depuis les bases de la CIA à Langley en Virginie et depuis celles de l’armée de l’air à Creech au Nevada, par des équipes spécialement formées par la CIA et l’armée de l’air.

Les conséquences politiques de l’utilisation des drones dans le pays ciblé sont également problématiques, dans la mesure où ces attaques unilatérales se déroulent sans avertissement et sans riposte – cette utilisation provoquant sans surprise un fort ressentiment anti-américain.

Ensuite, l’assassinat automatisé, déclenché à une hauteur de 30 000 pieds, est loin d’une opération militaire classique. S’il y a erreur de ciblage, ou des destructions injustifiées, qui est responsable? Qui sera coupable d’avoir commis un « crime de guerre »? Conséquemment, sur le plan éthique et légal, le recours aux drones échappe complètement à l’imputabilité et, surtout, aux conventions sur la conduite des guerres.

D’une part, la prise de décision est elle-même davantage mécanisée, en raison d’une automatisation accrue des systèmes de repérage et de destruction. D’autre part, le droit international est muet devant l’utilisation des drones – une situation complexe en raison de la transgression aisée des frontières, sans détection et sans préavis, par ces aéronefs.

Enfin, les États-Unis ne disposeront pas indéfiniment du monopole sur la technologie des drones. Le jour est-il très loin où les forces américaines seront attaquées par …un drone? Ainsi, une quarantaine de pays travaillent sur cette technologie, sans compter sur les acteurs non étatiques qui voudront profiter des atouts nouveaux qu’elle offre. Et ce ne seront pas tous les nouveaux venus qui auront le souci de limiter l’emploi des drones.

On pourrait ainsi assister à une forme paradoxale de « démocratisation » de la destruction offerte par une technologie jusqu’ici tenue rigoureusement secrète. Les drones ne sont pas une « balle magique ». Cette forme de guerre, plus précise, ne sera guère plus « démocratique », et n’évitera pas certains des pièges des stratégies militaires classiques : la propension à recourir (trop) rapidement à une arme jugée très fiable et acceptable – avec en contrepartie les erreurs de jugement et la perte de vies innocentes –, l’effet « boomerang » de la course aux armements et de la prolifération des drones, la violation du droit et des normes.

En conclusion, les drones ne sont que le début d’une plus grande robotisation et digitalisation encore de la guerre : ainsi l’armée de terre teste des robots de patrouille tandis que la marine met à l’essai des petits navires et submersibles automatisés. Les nouvelles technologies sont-elles sur le point de supplanter les vrais soldats ? L’irruption de la guerre sans vertu? On peut croire que oui, et tout le défi consistera à s’assurer que les humains conserveront le plein contrôle de ce processus en transition.

Charles-Philippe DavidTitulaire de la Chaire Raoul-Dandurand

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