By akademiotoelektronik, 10/04/2023

Peine de mort : comment Patrick Henry y a échappé cinq ans seulement avant son abolition

«À mort ! À mort !» Ces mots résonnent depuis trois jours devant la Cour d'assises de l'Aube, dans la ville de Troyes. Pour le dernier jour d'audience du procès de Patrick Henry, 23 ans, le meurtrier du petit Philippe Bertrand, 7 ans, ils sont nombreux à s'être retrouvés en attendant le délibéré. À 18h30 ce 20 février 1977, après seulement une heure et demie de délibération, les membres du jury, sept hommes et trois femmes, regagnent leur place. La salle se fige, les souffles sont coupés à l'approche de la décision tant attendue. Le verdict finit par tomber : des circonstances atténuantes sont retenues. Un cri vient rompre alors le silence qui grise la salle, c'est la mère du meurtrier qui s'exclame, soulagée. À la grande surprise de tous, son fils ne sera pas guillotiné.

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Un an auparavant, Patrick commet un crime affreux dans la ville de Troyes : il ôte la vie à un enfant. Il enlève le petit Philippe à la sortie de l'école et espère une rançon en contrepartie. Mais 18 jours plus tard, le corps sans vie du garçon est retrouvé enroulé dans une couverture sous un lit dans une chambre d'hôtel. Difficile d'oublier les mots du présentateur de télévision Roger Gicquel qui s'ensuivent : «La France à peur». La stupeur laisse place à la haine et à la colère, la ville de Troyes s'embrase, puis la France entière. Nous sommes en 1977, soit cinq années avant l'abolition de la peine de mort en France en 1981. Retour sur ce procès, qui a marqué à jamais l'histoire judiciaire française.

Le procès «de la peine irréversible»...

Le procès s'ouvre à Troyes le 18 janvier 1977. Le destin de Patrick Henry semble déjà scellé : «le procès de la peine irréversible, celui du prix du sang», écrit Le Figaro le 18 janvier 1977. Un homme indéfendable est alors jugé, et les avocats ne se sont pas précipités pour le défendre. C'est finalement Maître Robert Bocquillon qui s'y attelle, et l'homme fait tout de suite appel à un confrère pour l'épauler : Robert Badinter, qui avait déjà plaidé dans ce tribunal, cinq années plus tôt, dans l'affaire Buffet-Bontems, la cause de deux accusés. Condamnés à la peine de mort, leur exécution au petit matin le 28 novembre 1972 marqua à jamais Robert Badinter, avocat du deuxième larron. Cette fois-ci, pour le procès de Patrick Henry, il n'est pas venu défendre un homme, il est venu prendre sa revanche et prôner l'abolition de la peine de mort.

Les auditions débutent, les faits matériels sont exposés. Les journaux d'époque, dont Le Monde et Le Figaro, rapportent alors la personnalité froide et détachée de l'accusé, qui n'exprime pas une once de remords. Les mémoires sont encore marquées par son cynisme, lorsque, au cours des recherches du petit garçon, il était suspect n°1 et sortait d'une garde à vue : face aux médias, il a clamé son innocence : « Je suis pour la peine de mort dans ce cas-là. On n'a pas le droit de s'attaquer à la vie d'un enfant», avait-il même déclaré.

Et pourtant, Patrick Henry a tué l'enfant, parce que «ses pleurs le gênaient», avait-il avoué aux policiers. Pendant 12 jours, le corps sans vie du garçon reste sous un lit d'hôtel, tandis que Patrick reprend sa vie quotidienne : des dîners, un week-end en Suisse avec des amis, des sorties en boîte de nuit… L'homme est indéfendable au regard de l’horreur de son crime et de son cynisme absolu. «Implaidable» même, selon Robert Badinter. L'avocat abolitionniste préfère rester en retrait sur la question des faits et de la personnalité de son client, tandis que l'avocat général lui, ne fait pas de cadeaux. «Là où il y avait un procès de Patrick Henry, qui était implaidable, j'ai choisi de substituer le procès de la peine de mort», analyse Robert Badinter à l’issue du procès dans Paris Match .

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... devient celui de la peine de mort.

S'il n'entraîna pas de facto la fin de la peine de mort en France - deux ont ensuite été prononcées -, le procès de Patrick Henry a malgré cela eu une forte résonance dans les débats sur l'abolition. Il a d'abord frappé par l’horreur du crime, mais ce sont la décision et la portée du procès qui ont encore plus marqué les esprits. Dans cette affaire, tout était réuni pour que l’accusé soit condamné à mort, mais il se trouve que les jurés ne se sont pas laissés influencer par l’opinion publique qui grondait à la porte du tribunal. D'ailleurs, un journal local avait publié leurs noms et adresses, alors que toute la ville ne bourdonnait que d'un cri : «la mort !» Comment expliquer un verdict allant à l’encontre de toutes les prévisions ?

Plusieurs pistes et analyses ont été apportées à la suite du délibéré, par les médias et les principaux concernés. Le discours de la sœur de Patrick Henry est une première piste : elle lui offre, à la barre, une preuve d'amour bouleversante, à tel point que deux jurés en ont pleuré, rapporte Le Monde dans son compte rendu d'audience. «Quand la sœur apparut, tellement proche de nous tous, d'un seul coup, quelque chose a changé», se souvient Robert Badinter. «On s'est dit : il y a aussi la mère de l'assassin, sa sœur, son père».

Ensuite, parmi les 46 auditions de témoins, plusieurs ont possiblement influencé l'avis des jurés : celle du père Clapier qui l'a communié et avec qui il a repris contact en prison. Ce dernier rappelle le caractère irresponsable de la peine de mort, une «décision de désespoir». Mais aussi d'autres, plus éloignés de l'affaire, comme le professeur Lwoff, 74 ans et prix Nobel de médecine, le juriste Jacques Léauté, directeur de l'Institut de criminologie de Paris et le psychiatre et criminologue Yves Roumajon. Tous se retrouvent à la barre, non pour défendre l'homme, mais pour affirmer leurs convictions abolitionnistes.

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Toutefois, la personnalité qui a eu le plus de poids dans la balance est sans équivoque Monseigneur Fauchet, évêque de Troyes, qui avait appelé quelques jours plus tôt dans un message paru dans le bulletin du diocèse à la sérénité des consciences. Une enquête de Claude Fouchier, ex-grand reporter à RTL, avait démontré que sur neufs jurés tirés au sort, trois au moins avaient des convictions religieuses, et ces dernières leur interdisaient de voter la mort. Des convictions renforcées par le discours de leur évêque.

«À nous d'aider à ce que la justice soit rendue sereinement. Cela suppose que chacun lutte contre ses propres passions, sa peur, son esprit de vengeance, pour que les jurés puissent se prononcer en leur âme et conscience.» «Vous avez appris qu'il a été dit «œil pour œil et dent pour dent», «tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi», et moi je vous dis: «Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux.»Appel à la sérénité de l'évêque de Troyes, dans un message de Noël à ses diocésains.

La conscience des avocats en face de la conscience des hommes

Le troisième jour, les derniers plaidoyers sont attendus. L'étau se resserre, la fin approche. Maître Émile-Lucien Fraisse, avocat de la partie civile, se retourne vers les jurés et demande la mort «pour qu'il n'y ait plus de parents en pleurs ; pour qu'il n'y ait plus d'innocents immolés ; pour que jamais nous ne revoyions ces images insupportables.»

Maître Bocquillon, lui, tente de redonner un peu d'humanité à l'homme de glace : «Si nous sommes particulièrement sensibles à l'atrocité de cette affaire, c'est que Patrick Henry est le fils normal de gens normaux. C'est un enfant gâté par la société de profit et qui a tourbillonné dans le crime. Le monstre, c'est le fils d'une femme qui est ici. Il pourrait être le nôtre, le mien, le fils de tout le monde. Alors, cette pitié qu'il n'a pas eue pour sa victime, je vous demande de tout cœur que vous l'ayez pour lui».

Mais ces mots seuls n'auraient pas suffi à convaincre le jury, il le savait. Robert Badinter, qui était ici pour défendre l'abolition de la peine de mort, s'implique alors corps et âme dans son plaidoyer d'une heure et demie : «Je ne crois pas à la grâce du président de la République en ce qui concerne Patrick Henry. Ce que vous avez dans les mains et vous seuls, c'est le droit de vie et de mort. Vous pouvez le tuer ou non.»

Et l'avocat prononce cette phrase terrible, mettant volontairement des images sur les mots pour peser sur la décision des jurés : «Si vous votez la mort, sachez bien qu'il sera coupé en deux». Il ajoute : «Puis le temps passera. Il y aura d'autres crimes atroces, parce qu'il y en a toujours eu. Et puis un jour, dans dix ans, dans quinze ans, la peine de mort sera abolie en France, comme elle l'est à peu près partout. Et vous serez seuls avec votre vote. Vous direz à vos enfants que vous avez condamné à mort un tueur d'enfant, et vous verrez leurs regards.»

Après tant d'ardeur dans la défense, trois jurés ont fondu en larmes. Le sort d'un homme est dorénavant entre leurs mains. L'accusé, resté quasi muet tout au long du procès, prend alors la parole, et demande pardon aux parents de Philippe : «Je sais combien ce que j'ai fait est affreux. Je le sais mieux que tout le monde. Et je le regrette du fond du cœur.» Après seulement 1h30 de délibéré, les jurés reviennent. Le président lit les réponses. Et contre toute attente, le jeune homme n'est pas condamné à mort mais à la réclusion criminelle à perpétuité, du fait de «circonstances atténuantes». «Votre jeune âge vous a servi», adresse le président. Patrick promet : «Vous ne le regretterez pas».

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