By akademiotoelektronik, 25/11/2022

"Nous allons transformer en profondeur notre modèle bancaire" (Philippe Heim, Banque Postale)

LA TRIBUNE. La Banque Postale dévoile aujourd'hui sa raison d'être. Comment la résumer ?

PHILIPPE HEIM - Nous avons fait le choix d'écrire une raison d'être étoffée, qui reflète notre plan stratégique. Dans le préambule, nous y affirmons trois convictions : la première c'est qu'il n'y a pas de création de valeur durable sans partage. C'est une conviction très forte et apolitique. La deuxième conviction, c'est qu'il n'y pas de dynamisme économique sans vitalité des territoires. Il faut réconcilier le modèle de croissance avec la nécessité d'assurer la vitalité des territoires. Et enfin, il n'y a pas de développement économique pérenne sans respect des limites planétaires.

Ce qui compte, ce n'est pas seulement de s'attaquer aux enjeux du « green », mais d'avoir une approche globale de « transition juste ». Ce n'est pas un slogan de La Banque Postale. Ce concept désigne tout ce qui contribue à construire un monde meilleur en prenant en compte la transformation écologique, sociale, territoriale et numérique. L'idée c'est d'avoir une vision holistique de toutes ces transformations nécessaires dans la société et de les accompagner. Si nous devions résumer notre raison d'être en une phrase, ce serait la banque qui veut favoriser la transition juste.

Pourquoi se doter aujourd'hui d'une raison d'être ? Qu'est-ce que cela va changer pour La Banque Postale, créée il y a 15 ans pour assurer un service bancaire de base à tous ?

P. H - La Banque Postale est « citoyenne by design » car elle a été construite pour ça. C'est inscrit dans ses statuts et dans le discours de Patrick Werner, ancien président de La Banque Postale. Mais, 15 ans après notre création, il était important pour nous de consolider notre socle citoyen et de réaffirmer notre leadership en nous projetant dans l'avenir sur un terrain où nous sommes très légitimes et reconnus internationalement comme la première banque à impact. Nous sommes en avance par rapport à la communauté bancaire. C'est important pour nous de renforcer ce positionnement et de réaffirmer ce que nous sommes, la banque citoyenne.

Concrètement, comment cette raison d'être va-t-elle s'incarner ?

P. H - Nous mettons d'abord en œuvre une série d'actions en faveur de nos clients. Nous lançons, par exemple, le premier crédit consommation à impact, une première mondiale sur le marché. Très concrètement, si vous achetez une voiture électrique ou hybride, le taux appliqué sera bonifié. Et, si vous achetez une voiture thermique, La Banque Postale s'engage à compenser les émissions carbone de cette voiture pendant les deux ans qui suivent le financement du véhicule. Nous allons aussi proposer des produits financiers à impact, en reversant une partie des frais de gestion des fonds à des associations.

Nous allons par ailleurs mettre en place sur notre application de banque en ligne une fonctionnalité développée par la start-up Carbo, incubée au sein de platform58 (structure dédiée à l'accompagnement des startup fintech et assurtech, ndlr). Elle mesure l'impact carbone de notre consommation quotidienne, comme un plein d'essence, la réservation de billets d'avion ou simplement nos achats en magasin.

Et nous allons aussi transformer en profondeur notre modèle bancaire. Nous sommes en train de déployer un outil fondateur : un indice d'impact global. A côté des éléments de mesure de risques et de rendement étudiés lors d'un comité de crédit ou d'investissement, nous allons incorporer une mesure des impacts environnementaux, territoriaux et sociaux. Ce scoring sera un des éléments de prise de décision. C'est un indice propriétaire, mais que nous développons en architecture ouverte. Nous avons travaillé avec WWF pour homologuer et certifier la pertinence de l'outil. Nous visons à développer cette méthodologie avec l'ensemble des parties prenantes qui souhaiteraient s'associer à nous (des universitaires, des ONG, etc). Et nous appelons de nos vœux à le faire en co-construction avec d'autres acteurs financiers.

Au-delà de votre raison d'être, vous annoncez vouloir devenir une entreprise à mission d'ici la fin de l'année. Pourquoi vouloir aller un cran plus loin ?

P. H - Nous sommes l'une des premières banques à prendre ce chemin. Nous nous inspirons de notre maison mère, devenue entreprise à mission début juin. Nous sommes également classé première banque mondiale sur la RSE par certaines agences de notation extra financières et, nous souhaitons poursuivre notre démarche en devenant entreprise à mission. Un comité de suivi va être constitué, qui, à côté du conseil de surveillance, va utiliser la raison d'être comme un filtre stratégique dans les choix d'investissements, et dans les choix de croissance externe. Tout cela est opposable et nous engage, c'est-à-dire que si on ne respecte pas sa raison d'être, on peut la perdre par décision du juge. Par ailleurs, des organismes certificateurs externes vont venir vérifier que nous respectons bien les engagements pris.

L'idée pour nous c'est de montrer qu'il n'y a pas de complaisance dans cette démarche. Nous le faisons par conviction. La meilleure façon pour que cela soit crédible, c'est de rendre cette démarche mesurable et transparente. Nous ne pouvons améliorer que ce que nous mesurons. Pour nous, c'est un moyen d'affirmer notre exigence et de prendre un temps d'avance là où il y a parfois une certaine confusion entre ce qui relève de la communication et ce qui relève de l'action.

Peu d'entreprises du secteur bancaire ont fait ce choix et il me semble que c'est une discipline très structurante pour affirmer notre leadership en finance à impact positif au niveau international. Notre ambition est d'avoir un niveau d'engagement et de transparence qui est sans doute inégalé sur le marché. Nous voulons tracer, pas dans le sable, mais bien dans le marbre, une ligne de partage entre ceux pour qui c'est un argument de circonstance et ceux pour qui c'est vraiment dans l'ADN.

L'ADN de La Banque Postale, dans l'esprit de la loi de 2005, est d'être une banque « différente » avec des missions d'intérêt général. Pour quelles raisons cette notion d'intérêt général ne figure pas dans la raison d'être de la banque ?

P. H - La Banque Postale est une banque à capital public, filiale du groupe La Poste. A ce titre, elle assume des missions de services publics, notamment celle de l'accessibilité bancaire, gravée dans la loi et sur le point d'être reconfirmée par la Commission européenne. La défense de l'intérêt général est une notion qui évolue dans le temps. Et, d'une certaine manière, l'intérêt général est inscrit dans notre raison d'être, avec des mots et des engagements différents. Nous donnons un contenu plus précis à cette notion alors même que l'intérêt général est désormais pluriel, avec l'urgence climatique, l'urgence des équilibres territoriaux et l'urgence de la cohésion sociale. Mais qu'on ne s'y trompe pas, nous ne sommes pas une ONG mais une banque commerciale qui évolue dans un contexte concurrentiel redoutable.

Cet ancrage citoyen que vous revendiquez est-il compatible avec une stratégie de croissance ambitieuse ?

P. H - Nous avons décidé d'être en 2025 la banque préférée des Français. C'est l'objectif de notre plan stratégique et il est effectivement très ambitieux. Comment y parvenir ? Tout d'abord sur la qualité des services. Nous étions dans ce domaine dans le haut du podium mais nous avons perdu du terrain aujourd'hui. De nouveaux standards bancaires sont apparus, notamment avec les néo-banques qui ont imposé un nouveau mode de relation fondée sur l'immédiateté et la commodité. Nous avons le sentiment que nous pouvons revenir rapidement sur le podium.

Ensuite, notre vocation citoyenne fera incontestablement la différence. C'est clairement un pilier de notre stratégie. Enfin, ce sont les postiers qui sont les acteurs de cette transition juste. Les postiers sont de plus en plus souvent les derniers remparts de la désertification des territoires ou de certaines zones urbaines. Ils jouent un rôle clé pour maintenir la proximité et l'accessibilité des services bancaires. Dernier point, mais important, c'est notre volonté de faire bénéficier de notre effort en matière de digitalisation, à la fois nos clients dans la consommation de services bancaires et nos collaborateurs dans leur travail.

Quel sera l'avenir de votre réseau à l'heure où la réduction du nombre d'agences bancaires devient la règle dans le secteur ?

P. H - Notre positionnement assumé, il est vrai, va à l'encontre des choix du secteur : celui du maintien d'une proximité forte. Le secteur de la banque de détail en France est pourtant en grande souffrance et tous les grands réseaux bancaires sont en restructuration, avec une accélération de la réduction du nombre d'agences, qui sont de plus en plus désertées par les clients. Cela pose de vrais dilemmes stratégiques. Comment conserver une relation physique ou défendre un modèle relationnel avec quelques agences dans un département ? Le secteur est proche d'un point de rupture. Reste que l'agence est le principal vecteur d'acquisition de nouveaux clients.

A La Banque Postale, nous nous appuyons sur nos 17.000 points de contact, dont 7.600 bureaux de poste, et l'aménagement du territoire est une des missions de service public de La Poste. C'est un élément différenciant et une garantie pour nous de maintenir le lien. Les bureaux de poste sont aussi une extraordinaire zone de chalandise, avec un million de visites par jour alors que, dans une agence bancaire traditionnelle, cela se chiffre entre 10 et 20 visites par jour. Les bureaux de poste sont des lieux de polarisation dans les territoires extrêmement forts et nous offrent des opportunités de croissance.

La Banque Postale est régulièrement citée dans des dossiers de reprise d'actifs ou de banques. La croissance externe est-elle une priorité pour vous ?

P. H - Nous avons les moyens de notre développement, notamment un ratio de fonds propres CET1 de plus de 20%. Nous avons déjà quelque 20 millions de clients, dont 12 millions sont très actifs. La priorité est donc de réactiver les comptes inactifs. C'est un potentiel énorme de développement. Près d'un Français sur trois est client de La Banque Postale.

Mais nous avons également la conviction que la modèle de la banque de détail de particuliers sera durablement challengé par des taux d'intérêt bas et une croissance faible du marché. Il est donc capital d'accélérer la diversification de nos activités, que ce soit dans l'assurance, avec notre filiale CNP Assurances, ou le crédit à la consommation, le leasing, le factoring ainsi que la gestion d'actifs ou le marché des entreprises. C'est la raison pour laquelle nous regardons la plupart des dossiers de place. Mais nous sommes aussi très disciplinés et nous évitons de nous lancer dans des aventures industrielles ou financières. Il faut naturellement du sens, et que ces projets s'inscrivent en cohérence avec notre raison d'être.

Eric Benhamou et Juliette Raynal

9 mn

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