Par akademiotoelektronik, 29/12/2022

IA, robotique, cobotique, maintenance prédictive

Le dernier numéro

Régulièrement placée à la une des médias, l’IA n’est-elle qu’un effet de mode ou bien annonce-t-elle un changement de paradigme qui va bouleverser au-delà de nos usines, nos vies quotidiennes ? Les réponses à ces questions sont souvent différentes selon les interlocuteurs. Encore faut-il s’entendre sur la définition de l’IA. Selon Jacques Baudron, le fondateur d’Ixtel et enseignant en milieu universitaire et école d’ingénieurs : « L’IA faible, disponible aujourd’hui est celle d’un automate qui ne sait prendre de décision qu’en piochant dans ce qui lui a auparavant été inculqué ; l’intelligence artificielle forte que l’on espère pour demain est celle d’un humain qui décide avec sa conscience et son émotion ».

Même constat de la part de Jérôme Laplace, fondateur et dirigeant des sociétés girondines Génération Robots et HumaRobotics qui préside le cluster Aquitaine Robotics : « Nous en sommes encore au début de l’IA. L’IA repose aujourd’hui sur le Machine Learning et le Deep Learning qui constituent le socle du nouveau paradigme de la programmation informatique. Nous sommes encore loin d’un robot qui développe une conscience propre ».

Une déferlante artificielle

Même si nous n’en sommes qu’à une application de l’IA faible, nous assistons à une véritable déferlante qui va changer radicalement nos manières de produire et modifier en profondeur nos comportements. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Rien qu’entre 2015 et 2018, l’introduction de l’IA dans les entreprises a augmenté de 270 % : c’est ce qui ressort de la dernière étude de Gartner suite à un sondage mené auprès de 3 000 industriels présents dans 89 pays. « Nous n’avons jamais autant investi dans les technologies de l’IA que ces dernières années ».

Selon Gartner, cette hausse s’explique en partie par le fait que les technologies de l’IA sont arrivées à maturité. « Si une entreprise n’utilise pas l’IA de nos jours il y a de fortes chances que ses compétiteurs le fassent et gagnent un indéniable avantage » annonce Chris Howard, vice-président chez Gartner. Du côté du dépôt de brevets, c’est le même engouement : le rapport publié par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les tendances technologiques 2019, consacré à l’IA, révèle que le nombre de « brevets en intelligence artificielle a crû de 28 % en moyenne par an entre 2012 et 2017 ».

Au total, 55 660 brevets ont été déposés dans le monde en 2017. 89 % des brevets concernent le Machine Learning avec une progression exponentielle du Deep Learning qui fonctionne avec des grappes de neurones artificiels. « Cette croissance est alimentée par la profusion de données numérisées existantes et une puissance de traitement informatique en constante évolution, avec un effet potentiellement révolutionnaire : en détectant des cibles parmi des milliards de données apparemment sans rapport, l’IA peut améliorer les prévisions et permet d’accroître la productivité et les performances » indique le rapport.

Un saut quantique depuis 2013

Par ailleurs, le Deep Learning, qui a permis le développement de la reconnaissance visuelle, se démarque des autres techniques de Machine Learning par le délai très court intervenant entre le moment où les études scientifiques sont publiées et celui où les brevets sont déposés. Cette période est en général de 10 ans pour les autres techniques du Machine Learning : pour le Deep Learning, il n’y a quasiment plus de décalage. Francis Gurry, directeur général de l’OMPI déclare au sujet de l’IA : « On a assisté à un saut quantique depuis approximativement 2013. Notre impression, c’est qu’on ne va pas voir une diminution de l’intérêt du public prochainement. Le phénomène est tellement profond, et même si beaucoup d’applications vont être invisibles, je pense qu’on va parler encore pendant longtemps des effets sociaux. »

Dans cette course effrénée au dépôt de brevets, 5 grands groupes occupent le haut du pavé. Le premier est IBM qui survole le classement avec plus de 8 000 brevets toutes fonctions confondues. Le géant américain vient d’annoncer qu’il allait consacrer 2 milliards de dollars dans la création d’un nouveau centre de recherche sur le campus du Suny Polytechnic Institute à Albany, dans l’État de New York. Ce nouveau pôle se focalisera sur la recherche, le développement, le prototypage, les tests et la simulation de puces informatiques basées sur l’IA. « Une fois créé, le centre AI Hardware deviendra un hub mondial pour la recherche et le développement innovants » a-t-il annoncé au début de cette année. Derrière Big Blue, c’est Microsoft qui occupe la deuxième position avec 5 930 dépôts de brevets talonné par Toshiba, Samsung et NEC, respectivement détenteurs de 5 223, 5 102 et 4 406 brevets. Toshiba et Samsung sont les 2 firmes ayant déposé le plus grand nombre de brevets dans le domaine de la reconnaissance visuelle.

Des technologies mâtures

IA, robotique, cobotique, maintenance prédictive

Cette explosion des investissements et des dépôts de brevets est liée à l’arrivée à maturité des technologies de l’IA. C’est notamment le cas de la reconnaissance visuelle en plein déploiement au sein des entreprises. Le premier système performant baptisé AlexNet a été mis au point par Geoffrey Hinton (surnommé le parrain de l’IA) et son équipe de l’université de Toronto en 2012. À partir de cette période, les startups et les industriels ont développé des applications de plus en plus efficientes. C’est notamment le cas de Vinci Energies, via sa branche Actemium, qui a élaboré un système pour inspecter le fuselage des avions à Toulouse. Mise au point par Diota, start-up française (spécialiste de la réalité augmentée) qui a conçu ses technologies avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), la solution s’appuie sur l’utilisation d’un AGV (véhicule à guidage automatique). Le véhicule autonome prend des photos de l’aéronef qui sont ensuite traitées afin de mesurer les écarts entre le modèle et la réalité. L’astrophysicien britannique Stephen Hawking, disparu en mars 2018, a mis en garde à plusieurs reprises contre le risque pour l’humanité de voir les machines devenir bien plus intelligentes que les hommes : la reconnaissance visuelle est désormais l’un des premiers domaines dans lesquels la machine est en mesure de remplacer l’humain.

Optimiser les prises de décision

Pour faire face à un marché mondialisé de plus en plus complexe en constante mutation et pour rester dans la course, les entreprises doivent innover, produire et fournir plus, en optimisant leurs flux et en limitant leurs stocks afin de gagner en efficience et en agilité. Elles doivent faire face en temps réel aux diverses fluctuations qui les affectent. Dans ce contexte, le Machine Learning et le Deep Learning deviennent de précieux alliés qui leur permettront de simuler, de prévoir et de prendre les bonnes décisions. Ils sont devenus incontournables pour les éditeurs d’ERP et autres MES, les progiciels qui les intègrent devenant de véritables accélérateurs de performance. Par ailleurs, le développement d’ERP « communicants » permet aux entreprises de disposer des moyens d’améliorer leur capacité de veille économique, de superviser leur ligne de production en temps réel, de réaliser de la maintenance préventive & prédictive depuis n’importe où. Avec ces nouveaux outils d’analyse, les industriels disposent d’une vision globale sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement ce qui les aide à prendre les bonnes décisions et à adopter la bonne stratégie au bon moment.

Des gains en agilité et en résilience

« Pour les opérations de fabrication, la maintenance prédictive améliorée par l’IA permet une meilleure anticipation des pannes des équipements en combinant les données des capteurs IoT (Internet-of-Things) et des autres indicateurs des machines. Cela peut ainsi permettre une augmentation de la productivité des actifs de 20 % et réduire de 10 % les coûts globaux liés à la maintenance » déclare le cabinet McKinsey.

Pour l’éditeur VIF, l’utilisation de l’IA dans les logiciels d’anticipation permet aux industriels de prendre les bonnes décisions au bon moment et d’anticiper aussi bien des défaillances que d’établir des plans stratégiques sur des périodes couvrant 18 mois. Pour pouvoir offrir des solutions plus efficaces, la société toulousaine AGILEA a créé en 2017 le laboratoire commun AGIRE (contraction d’agilité et résilience des entreprises) avec IMT Mines Albi et Armines.

« Dans ce laboratoire, nous utilisons toutes les technologies du Deep Learning pour développer des outils de collecte, d’analyse et de traitement des données de manière à disposer de modèles de simulation qui permettront aux équipes de choisir les meilleures solutions et les meilleures alternatives pour gagner en agilité et en résilience » argumente Philipe Bornert, son PDG.

De son côté, Supratec spécialiste dans la conception et le négoce d’équipements industriels innovants, vient d’ouvrir à Lyon un pôle de R&D (réunissant 5 ingénieurs) pour développer de nouveaux procédés liés aux technologies de l’IA et de l’informatique industrielle. Un rapport d’égalité entre collaborateur et manager « Au-delà de l’effet de mode, la transformation digitale est aussi une vraie réalité.

La sentence est sans appel pour les entreprises qui ne suivent pas la marche. Cette quatrième révolution est différente des autres : elle est exponentielle. Chaque innovation va plus loin que la précédente. Nous sommes dans une rupture permanente des technologies.

La transformation digitale est une transformation sociétale portée par nos usages » explique Ilham Guggenheim, Managing Director d’AKKA DS qui accompagne les entreprises dans leur transformation digitale. Selon elle, 52 % des entreprises du top 500 américain (l’équivalent du CAC 40) ont disparu depuis l’an 2000. L’âge moyen d’une entreprise était de 67 ans en 1927. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à moins de 10 ans.

Les nouvelles technologies ont changé la donne aussi bien du côté des clients que des collaborateurs. Elles ont permis l’émergence d’un nouveau client mobile qui a le pouvoir et achète n’importe quand, n’importe où, sur n’importe quel terminal (ATAWAD/« Any Time, Any Where, Any Device »). Du coup, les codes marketing traditionnels fondés sur les 4 P (Produit, Prix, Place, Promotion) sont caduques et sont remplacés par les 4 E (Émotion, Expérience, Exclusivité, Engagement). Dans le même temps, le système d’organisation pyramidale des entreprises est, lui aussi, devenu obsolète.

Le collaborateur devient créateur de valeur, source de richesse à condition qu’il soit mieux impliqué dans la vie de l’entreprise. Selon l’OCDE, la durée de vie d’une compétence technique était de 22 ans en 1970. Elle n’est plus que de 2,9 ans aujourd’hui. Cette évolution doit conduire à modifier nos modes de management. « L’innovation managériale est un des enjeux. Il faut développer l’employee experience (EX), c’est-à-dire l’expérience collaborateur et établir une relation d’égal à égal entre le collaborateur et le manager. La clé du succès réside finalement dans l’association des forces de l’IA à celles des collaborateurs ».

L’IA pour repenser le Lean. C’est aussi l’avis de Cyril Dané, PDG d’AIO, leader européen du Karakuri Kaizen® et du Lean manufacturing pour lequel : « L’intelligence artificielle sans les hommes n’est rien. Le robot est encore loin de détrôner l’homme. Par contre, elle ouvre de nouvelles voies pour améliorer le bien-être au travail ». Le chef d’entreprise poursuit en citant Michael Ballé, cofondateur de l’Institut Lean France lorsqu’il écrit : « Comme le montre bien Cecil Dijoux dans son dernier ouvrage « Hyperlean en action », penser digital nécessite de penser Lean pour réussir son scale-up. Très fondamentalement, les machines, qu’il s’agisse d’une presse à injecter ou d’une IA, ne sauront jamais apprendre des demandes particulières des clients pour s’adapter à la demande réelle et concevoir une nouvelle version améliorée d’elles-mêmes ».

Ce qui n’empêche pas les spécialistes du Lean de faire appel à l’IA pour leur permettre de dépasser les modèles traditionnels et repenser le mouvement Lean, à l’image d’AIO qui vient de présenter début 2019 la nouvelle version de sa solution Numii au dernier CES de Las Vegas.

« Numii utilise une approche révolutionnaire qui va plus loin que les modèles standards. Elle décompose le mouvement en gestes élémentaires afin d’avoir une meilleure compréhension etune approche disruptive du mouvement humain et des efforts. » La base de données Numii sera ouverte au monde de la recherche pour continuer sur le long terme des recherches dans le médical et avoir une meilleure idée de ce que c’est que la santé pour tous et la santé au travail. Un monde sans pénibilité « Imaginez dans l’usine du futur un monde sans pénibilité, imaginez la fin des maladies professionnelles.

Numii est une swarm Intelligence, une intelligence en essaim, un système de robots qui collectivement mesure, collecte et traite pour générer la première base de données sur le travail humain » explique Cyril Dané. En parallèle, AIO est également en train de mettre au point un gant connecté intelligent baptisé Hiifu (peau en japonais), afin de mesurer les pressions et mouvements des mains et des doigts dans un environnement industriel. L’idée est de constituer la plus grosse base de données mondiales sur le travail du poignet et de la main qui concentre 45 % des TMS (Troubles musculo squelettiques).

L’utilisation de robots collaboratifs comme le préconise HumaRobotics, et/ou de robots mobiles à l’image de ceux que déploient Supratec, diminue la pénibilité au travail en réduisant les manipulations lourdes et répétitives. Elle répond également aux besoins des industriels pour lesquels les gains de place sont importants en apportant plus de flexibilité. « Nos robots mobiles offrent la possibilité de reconfigurer les ateliers sans aucun travaux de génie civil. » insiste Arnaud Marche le directeur technique de Supratec. Pour Clément François, responsable commercial de MakitLean, qui propose des solutions innovantes d’aménagements Lean : pas de digitalisation avant d’intégrer au sein de l’usine des démarches Lean.

« Avant de passer au 4.0, il faut d’abord veiller à bien maîtriser le 3.0 » lance-t-il. Encore faut-il savoir bien s’entourer et faire appel aux bons experts : « Face à la multitude de solutions technologiques existantes, les entreprises ont des difficultés pour intégrer tous les changements qui peuvent affecter l’introduction de nouvelles technologies tant au niveau métier que sur les plans organisationnel et humain. Pour répondre à cette problématique, il faut adopter une démarche globale qui repose sur ces 3 dimensions » avertit Thierry Lacombe, le PDG du Groupe SPC. Quant à lui, Philippe Prigent co-fondateur d’Axsant, l’un des précurseurs du Lean Manufacturing est formel : « Avant de transformer l’entreprise, il est nécessaire d’évaluer l’aptitude des performances de l’usine. Souvent les gens veulent investir massivement dans de nouvelles technologies alors que si leurs outils étaient mieux utilisés, ils pourraient atteindre plus rapidement la performance que s’ils investissaient lourdement ». Combinés au Lean, l’IA et les outils digitaux peuvent ainsi permettre le bien-être et l’épanouissement des collaborateurs tout en améliorant les performances.

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